Des « événements » bousculent la France entre le 3 mai et le 30 juin 1968. Crise universitaire, sociale et politique aux recoupements subtils, ce vent de contestation souffle aussi en Anjou où le mouvement agricole et ouvrier précède l’implication universitaire. Les oubliés de la croissance prennent la parole pour faire évoluer leur condition dans l’Anjou de 1968.
Une crise de société
En Maine-et-Loire, la moitié de la population a moins de 25 ans. Le marché du travail ne peut accueillir tous les jeunes et le nombre de demandeurs d’emploi augmente. Fin 1967, le Segréen réunit 3 000 manifestants. En avril 1968 la presse alerte sur le climat social qui s’assombrit.
Les agriculteurs angevins ne veulent pas être les oubliés de l’aménagement du territoire. Ils dénoncent la mauvaise répartition des investissements au sein de l’Europe des Six. En mai 1967 déjà, les syndicats organisent une grande manifestation contre la hausse des cotisations sociales.
La crise qui secoue l’Eglise catholique, au lendemain du concile Vatican II participe de l’inquiétude générale. Crise des vocations, défections, tensions au sein des mouvements de jeunesse alors très influents sont autant d’éléments déstabilisateurs.
Les « événements » en Maine-et-Loire
8 mai 1968, « l’Ouest veut vivre ! »
Dans ce climat tendu, la date du 8 mai est retenue pour une action commune entre syndicats d’ouvriers et paysans, sous un mot d’ordre commun : « L’Ouest veut vivre ». Alors que le Quartier latin est en effervescence depuis plusieurs jours, c’est par un 8 mai pluvieux que l’Ouest et le Maine-et-Loire connaissent leur première mobilisation. Monseigneur Mazerat, attentif au climat social, soutient cette initiative en évoquant « un fait local et régional qui ne doit laisser personne indifférent ».
Du mouvement social au mouvement étudiant : les manifestations
Le 9 mai, l’inauguration d’un bâtiment de l’Université catholique par le ministre Edmond Michelet donne lieu à de vives manifestations. Le 13 mai, une nouvelle mobilisation est organisée à Angers, Cholet et Saumur. Les discours prennent une orientation fortement politique et contestataire. Le 24 mai, syndicats de salariés, paysans et étudiants se mobilisent et le 27 mai, les cortèges rassemblent plus de 26 000 manifestants dans le département.
Alors que les négociations s’engagent à Paris rue de Grenelle, des étudiants pénètrent par effraction dans le théâtre d’Angers, le pavoisent de rouge et de noir et l’intitulent « Maison du peuple ». L’entremise du maire d’Angers Jean Turc convainc les occupants de quitter les lieux le 29 mai.
L’Anjou à l’arrêt : grèves et occupations d’usines
Parallèlement, le mouvement ouvrier paralyse progressivement les lieux de travail. Le 18 mai, les cheminots et les lycéens de Chevrollier sont en grève. Le lendemain, 20 000 grévistes sont recensés dans le département. Au matin du 25 mai, sur 108 entreprises industrielles en grève, 28 sont occupées.
L’atmosphère y est volontiers festive et des collaborations se nouent avec la Maison de la Culture d’Angers, le théâtre universitaire ou la Société des concerts populaires, qui se produisent dans les usines. Des comités de soutien aux grévistes sont constitués, des municipalités adoptent la gratuité des cantines scolaires et, le dimanche 26 mai, l’évêque propose que le produit de la quête soit affecté aux familles de grévistes en difficulté.
La reprise en mains et le retour à la normale
À la suite de l’appel du général de Gaulle, des comités de défense des institutions républicaines rassemblent les partisans du Président qui défilent le 30 mai à Angers, et le 1er juin à Cholet et Saumur. En réaction, les grévistes manifestent le 31 mai.
Début juin, les forces de l’ordre multiplient les interventions pour assurer la liberté du travail. Il reprend progressivement durant la semaine du 4 au 8 juin. Seuls certains secteurs, comme à Cholet, « tiennent » jusqu'au 14 juin. Le 15 juin 1968, le préfet peut annoncer au ministère de l’Intérieur que « les mouvements sociaux en Maine-et-Loire peuvent être considérés comme terminés ».
L'après 68
Avec des formes d’expression inédites, Mai 68 est l’occasion d’une mise en cause de l’autorité tant dans la cellule familiale que dans la sphère publique. Si les accords de Grenelle améliorent les conditions de travail des ouvriers, les jeunes agriculteurs se radicalisent contre l’orientation libérale et le milieu agricole se divise. Plus généralement, les Français adoptent une position critique à l'égard de la politique et se méfient du militantisme.
Le monde de l’éducation sort profondément transformé de la crise. Dans les établissements scolaires, élèves et parents participent désormais aux conseils de classe et les règlements sont redéfinis dès juin 1968. La blouse et l’uniforme quittent les cours de récréation, alors que le pantalon devient un vêtement mixte. L’Université se déploie sur le territoire, et Angers en bénéficie : près de deux siècles après sa suppression, l'université y est reconstituée en 1971.
Les débats sur les mœurs passent au premier plan avec la dépénalisation et le déploiement de la contraception (1967), puis la légalisation de l’avortement en 1975. Le féminisme se développe, autour, entre autres, du mouvement de libération des femmes (MLF).