Anjou - Département de Maine-et-Loire
Archives départementales Aux sources de l'histoire de l'Anjou

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Histoire de la Vraie Croix d'Anjou

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Depuis le XIIIe siècle, l’Anjou recèle une des plus célèbres reliques de la Passion présentes en France : la Vraie Croix d’Anjou (ou Vraie Croix de Baugé), qui se présente sous la forme d’une croix en bois de chêne à double traverse mesurant 27 centimètres de hauteur. Elle est montée sur un support en vermeil, porte un Christ en or massif surmonté de l’Agnus Dei et d’une colombe, et est somptueusement ornée de perles et de pierres précieuses (rubis, saphirs et grenats).

Ce fragment de la Croix du Christ est donné en 1241 par Thomas, évêque de Hiérapétra et d’Arcadie, à Jean II d’Alluye, un seigneur angevin qui s’était croisé deux ans auparavant et distingué en Terre Sainte pour sa piété et sa bravoure au combat.

De retour en Anjou, Jean d’Alluye vend en 1244 la précieuse croix à l’abbaye cistercienne de La Boissière (commune de Noyant-Villages, ancienne commune de Dénézé-sous-le-Lude, arrondissement de Saumur) pour une importante somme d’argent. Ensuite, les religieux font construire la chapelle de la Vraie Croix, destinée spécialement à exposer cette relique à la vénération des fidèles. Rapidement, elle fait l’objet d’une grande dévotion populaire, y compris au-delà des limites de l’Anjou.

Autour de 1357, en pleine guerre de Cent Ans, les moines de La Boissière, craignant les déprédations des soldats anglais ou des bandes de pillards à leur solde, préfèrent déplacer la Vraie Croix en lieu sûr : tout d’abord dans le couvent des Jacobins d’Angers, puis, à partir de 1359, au château d’Angers, sous la garde du duc d’Anjou Louis Ier (catalogue d'exposition « Quand le duc s'appelait Louis ». Louis Ier et Louis II, ducs d'Anjou. 1360-1417, Archives départementales de Maine-et-Loire, 1998, p. 14). En 1456, après plusieurs allers-retours entre Angers et l’abbaye de La Boissière, elle regagne définitivement sa chapelle d’origine et y demeure jusqu’en 1790 (Berthier Marcel, « La Vraie Croix de Baugé », Les Cahiers du Baugeois, n° 67, juillet-septembre 2006, p. 18.).

À la fin du Moyen Âge, le prestige de la Vraie Croix est tel que les princes de la maison d’Anjou s’approprient son emblème : elle est notamment représentée sur la tenture de l’Apocalypse (achevée vers 1380), dont Louis Ier d’Anjou est le commanditaire. Quelques décennies plus tard, elle apparaît aussi sur des sceaux et monnaies de René Ier, duc d’Anjou de 1434 et 1480 (Berthier Marcel, « La Vraie Croix de Baugé », Les Cahiers du Baugeois, n° 67, juillet-septembre 2006, p. 19). Son petit-fils René II, duc de Lorraine de 1473 à 1508, fait de la croix à double traverse un des attributs de son duché. Dès lors, elle est communément désignée sous le nom de « Croix de Lorraine » et devient, au cours de la Seconde Guerre mondiale, le signe de ralliement de la Résistance française à l’Occupation allemande.

Après plus de trois siècles de quiétude, l’histoire de la Vraie Croix d’Anjou connaît de nouveaux soubresauts au début de la Révolution française. Le 2 novembre 1789, l’Assemblée constituante décrète que tous les biens ecclésiastiques sont mis à la disposition de la Nation. Concrètement, cette mesure s’applique aux bâtiments, aux biens fonciers, mais également aux objets du culte appartenant à l’Église. Le 31 août 1790, deux commissaires du district de Baugé procèdent à l’inventaire du mobilier de l’abbaye de La Boissière et précisent « qu’ils ont remarqué au thrésor (sic) de la sacristie deux reliquaires, l’un d’un bras d’une sainte dont le nom est inconnu, qu’ils pensent devoir être transporté en l’église de Dénezé, paroisse de La Boissière ; que l’autre est un morceau prétieux (sic) de la Vraie Croix enrichie de différentes pierres qu’ils croyent (sic) de peu de valeur, mais que les parties d’ornements attachées à la relique, tels que deux christs en or, le pied qui sert de base à la croix en argent et vermeil, peuvent avoir une valeur de quatre cent livres, que la paroisse de Dénezé sembleroit avoir quelques droits à cette relique, comme étant dans son enceinte […] ». Le même document indique par ailleurs qu’Anne Hardouin de La Girouardière, fondatrice de l’hospice des Incurables de Baugé (créé en 1783, cet établissement était, avec l'hospice de la congrégation de Saint-Joseph et celui de la Providence, l'un des trois hospices que comptait la ville de Baugé à la fin du XVIIIe siècle), puis de l’institut du Sacré-Cœur de Marie, « leur avoit manifesté le dessein de se la procurer au prix qui seroit fixé pour la valeur des ornements, et la placer dans sa chapelle, et d’indemniser la paroisse de Dénezé du sacrifice qu’elle pouvoit faire ».

Deux semaines plus tard, le Département de Maine-et-Loire ordonne la vente du mobilier de l’abbaye de La Boissière et sa mise en dépôt provisoire au sein de l’église paroissiale de Baugé. S’ensuivent des tractations entre les instances départementales et la potentielle acquéreuse : Anne de La Girouardière propose une coquette somme pour acheter la Vraie Croix et en assurer la sauvegarde, mais les administrateurs du Département craignent d’être accusés de trafiquer abusivement des objets cultuels (Campbell Jacques, Essai sur la Vraie Croix de Baugé, Filles du Sacré Cœur, Baugé, 1959, p. 69.). Ils se résolvent finalement à accepter l’offre, mais seulement au titre de « don patriotique » (ADML, 1L 68 : délibération du directoire du Département de Maine-et-Loire, 2 octobre 1790), après quoi la Vraie Croix est solennellement transférée le 17 octobre 1790 dans la chapelle de l’hospice des Incurables. Elle s’y trouve encore aujourd’hui, sous la responsabilité des sœurs de la congrégation des Filles du Cœur de Marie.

Classé au titre des Monuments historiques depuis le 15 juin 1976 (voir source), ce trésor inestimable, symbole de l’Anjou, est désormais visible dans un nouvel écrin : le sanctuaire de la Vraie Croix d’Anjou à Baugé, inauguré le 8 juin 2025.

Paul-Henri Lécuyer, chef du service des publics aux Archives départementales de Maine-et-Loire, juin 2025

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