Institué en 1658, le grand séminaire du diocèse d’Angers s’établit à compter de 1806 dans l’enceinte de l’ancienne abbaye Saint-Serge à Angers. En tant que biens ecclésiastiques, ces bâtiments sont mis sous séquestre par l’État après l’adoption de la loi de Séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905. Au terme d’une longue procédure émaillée de nombreuses difficultés et d’âpres pourparlers, ils sont transformés en collège de jeunes filles à partir de 1929.

L’opération d’inventaire des biens du séminaire, la mise sous séquestre des bâtiments et l’expulsion des séminaristes
En application de la loi du 9 décembre 1905, l’inventaire des biens dépendant du grand séminaire du diocèse d’Angers est effectué le 3 février 1906 par l’inspecteur spécialement délégué par l’administration de l’Enregistrement, des Domaines et du Timbre à Angers.
L’opération d’inventaire se déroule dans un climat de tension, en présence de l’évêque d’Angers, Mgr Rumeau, et de dirigeants du séminaire, parmi lesquels se trouve M. Grellier, supérieur de l'établissement. Celui-ci émet à cette occasion une vive protestation, qui est consignée dans le procès-verbal d’inventaire : « Monsieur l’inspecteur, comme supérieur au séminaire au nom de Mgr l’évêque d’Angers et des administrateurs et directeurs de ce pieux établissement, je suis obligé de protester contre l’acte que vous venez accomplir. Je déclare que nous le subissons par force en faisant toutes réserves contre votre démarche et contre les résultats de l’opération à laquelle vous allez vous livrer. Non seulement nous avons le devoir de ne pas reconnaître les principes de la loi dite de séparation, contraire au droit ecclésiastique et au droit naturel, qui commence à nous être appliquée, non seulement nous entendons tenir à l’égard de cette loi l’attitude que dictera le chef suprême de la religion catholique ; mais ici, dans ce séminaire, nous vous opposons une réserve de plus qu’ailleurs : à part le terrain, plusieurs bâtiments, quelques objets mobiliers dont l’État a consenti la donation ou facilité l’acquisition, tout le reste a été apporté par les ecclésiastiques qui en conservent la propriété ou l’ont cédée à des personnes déterminées […] ».
D’après l’article 4 de la loi, la gestion des biens mobiliers et immobiliers appartenant jusqu’alors à l’Église catholique et aux autres cultes reconnus par le régime concordataire devait normalement être transférée, dans un délai d’un an à partir de la promulgation du texte, à des associations cultuelles, censées subvenir aux frais, à l’entretien et à l’exercice du culte. Or, le pape Pie X, dans son encyclique Gravissimo officii munere du 10 août 1906, refuse formellement la création de telles structures. L’Église de France doit se conformer à la décision pontificale, mais cette opposition frontale va avoir d’importantes conséquences. En décembre 1906, en l’absence d’association cultuelle, les biens de l’Église se trouvent sans affectation et sont par conséquent confisqués par l’État.
Sur ordre de la préfecture de Maine-et-Loire, l’expulsion des élèves, enseignants et directeur du séminaire de Saint-Serge a lieu le 14 décembre 1906 dans une atmosphère électrique. Le préfet Olivier Bascou a dû faire appel aux forces de l’ordre pour contenir les manifestations d’Angevins hostiles à cette mesure qu’ils jugent inique.
Le problème de l’affection des locaux
Après cette évacuation particulièrement houleuse, les pouvoirs publics doivent déterminer quel serait l’usage futur des vastes bâtiments de l’ancien séminaire diocésain d’Angers, désormais vides d’occupants. Selon le procès-verbal de remise aux Domaines daté du 28 janvier 1907, l’ensemble immobilier comprend les bâtiments, cours et jardins composant l’ancienne abbaye Saint-Serge, d’une superficie de presque deux hectares, auxquels s’ajoutent d’autres biens bâtis et non bâtis acquis au cours du XIXe siècle.
Dès le 4 janvier 1907, la Ville d’Angers s’est manifestée auprès du préfet pour faire valoir un projet d’affectation pour les deux parties bien distinctes des locaux. Dans la partie la plus étendue, seraient installées une école supérieure de garçons, ainsi qu’une école professionnelle et industrielle, dont l’entrée donnerait sur l’avenue Besnardière. La partie restante de l’ancien séminaire devait pour sa part être attribuée à l’école primaire supérieure de jeunes filles.
Néanmoins, le service municipal d’architecture juge le projet difficilement réalisable sur le plan technique, après quoi il est annulé. Les réflexions se poursuivent malgré tout au cours de l’année 1909. La préfecture, en lien avec les instances ministérielles de l’Instruction publique et de l’Intérieur, étudie l’opportunité de fonder un lycée de jeunes filles, dont la cité angevine était alors dépourvue. Mais le courant catholique, auquel appartient Jacques-Ambroise Monprofit, maire d’Angers depuis mai 1908, refuse catégoriquement que les autorités civiles s’emparent définitivement du patrimoine de l’Église et espère que celui-ci pourra, à terme, être récupéré par ses anciens propriétaires.
En mai 1910, une partie des bâtiments de l’ancien séminaire est attribuée à la Caisse des Dépôts et Consignations. Le préfet Georges Tallon (préfet de Maine-et-Loire du 1er juillet 1909 au 25 mars 1911) y voit une entrave à la création d’un établissement d’enseignement féminin – une idée qui lui tenait à cœur – et exprime son désappointement, le 15 juin 1910, au ministre de l’Intérieur et des Cultes : « J’ai eu l’honneur de vous faire part des regrets causés à tout le parti républicain et à la grande majorité de la population de la ville d’Angers par l’affectation du grand séminaire de cette ville au service de la Caisse des Dépôts et Consignations alors que dans leur pensée, cet important immeuble, situé au cœur même de la ville, devait permettre la création d’un lycée de filles dont la nécessité ne saurait être discutée dans une localité de 85 000 habitants dénuée de tout établissement secondaire pour les jeunes filles ». Néanmoins, l’autre partie du grand séminaire demeure libre et le projet d’y installer un collège ou un lycée féminin n’est pas irrémédiablement enterré. Il redevient même d’actualité après l’arrivée à la tête de la mairie d’Angers, en mai 1912, d’une équipe municipale favorable à cette entreprise. Dans sa séance du 13 juin 1912, le nouveau conseil municipal d’Angers émet un premier vote de principe acceptant de consacrer les bâtiments disponibles de l’ancien grand séminaire à l’implantation d’un collège de jeunes filles, qui deviendrait ensuite un lycée.


La longue procédure d’acquisition des bâtiments par la Ville d’Angers
Quelques temps plus tard, la Ville d’Angers obtient l’assurance formelle que l’État prendrait en charge la moitié des frais d’aménagement du futur collège de jeunes filles. L’établissement accueillerait 150 élèves dans un premier temps, puis pourrait être transformé en lycée par la suite.
Au départ, la municipalité pensait être en mesure de prendre possession des immeubles gratuitement. Toutefois, ceux-ci ne pouvaient juridiquement être transmis à titre gratuit, mais seulement vendus ou loués dans des conditions à déterminer entre l’administration des Domaines et l’acquéreur potentiel.
Le 26 décembre 1912, le conseil municipal d’Angers approuve le principe de l’achat des bâtiments. Il reste toutefois à régler la question de leur prix, qui donne lieu à de difficiles négociations avec le ministère des Finances, duquel relèvent les Domaines. Le 26 mai 1913, celui-ci approuve finalement une offre de la mairie d’un montant de 70 000 francs, mais insiste sur le caractère urgent de la création d’un établissement pour jeunes filles : « En raison de l’intérêt qui s’attache à la prompte réalisation de ce projet, je vous serais très obligé de bien faire ce qui dépendra de vous pour que les formalités préalables à la déclaration d’utilité publique de l’opération soient accomplies sans aucun retard, afin que le décret qui prononcera cette déclaration puisse être rendu le plus tôt possible ». Favorable au développement de l’enseignement féminin, la municipalité d’Angers et, en particulier, le maire Louis Barot, permet en octobre 1913 l’ouverture de cours secondaires de jeunes filles dans des locaux situés 23 et 25 rue Tarin à Angers.
Malheureusement, leur déménagement dans l’ancien séminaire diocésain doit être ajourné en raison de la Première Guerre mondiale. Pendant les hostilités, ses murs servent de lieu de cantonnement pour les réfugiés et rapatriés des régions du Nord et de l’Est de la France envahies par les troupes allemandes. Ils accueillent également un hôpital militaire complémentaire, puis un centre spécial de réforme, qui dépendait des services de santé militaires établis à Tours.
La cession à la Ville d’Angers des bâtiments de Saint-Serge n’étant toujours pas réalisée à l’issue du premier conflit mondial, d’autres projets d’affectation sont proposés. En mai 1918, la commission administrative des hospices d’Angers demande à être mise en possession des lieux, dès qu’ils ne seront plus occupés, pour y déplacer l’institut d’aveugles. Début novembre 1920, le directeur départemental de l’Enregistrement, des Domaines et du Timbre envisage quant à lui de concentrer l’ensemble des services financiers de la Ville d’Angers dans les locaux du grand séminaire. À chaque fois, la préfecture de Maine-et-Loire doit rappeler qu’il est toujours question d’y transférer les cours secondaires de jeunes filles, lesquels sont plus que jamais à l’étroit dans leurs immeubles de la rue Tarin.
Craignant que le projet d’acquisition ne finisse par tomber à l’eau, le maire d’Angers Victor Bernier cherche à accélérer les choses dans le courant de l’année 1920. Un accord est trouvé au printemps 1921 avec l’évêque d’Angers Mgr Rumeau pour que dernier accepte le transfert de propriété de l’ancien grand séminaire. Le 2 février 1922, la vente est enfin entérinée. La Ville d’Angers acquiert donc de l’État la partie du grand séminaire non affectée à la Caisse des Dépôts et Consignations. Toujours occupé par l’armée à cette date, l’ensemble immobilier représente une superficie de terrain de 11 500 m² et comprend un bâtiment principal, composé d’un rez-de-chaussée et de trois étages, les cloîtres, chapelles et sacristies, ainsi qu’un parterre et diverses dépendances.
À partir de 1924, d’importants travaux sont effectués pour aménager l’internat et l’externat du futur établissement. Il faut cependant attendre janvier 1929 pour que les premières classes y prennent place. Le nouveau collège de jeunes filles est inauguré officiellement le 11 avril 1929 et prend le nom de collège Joachim du Bellay en 1934. Il devient un lycée en 1946.
Bibliographie
- DUVAL Jocelyn, Les biens de l’Église après la séparation de l’Église et de l’État en Maine-et-Loire, mémoire de maîtrise d’histoire contemporaine (sous la direction de Jean-Luc Marais), Université d’Angers, 1997. Archives départementales de Maine-et-Loire, BIB 9942.
- NEVEU Hélène, Du collège de jeunes filles au lycée mixte Joachim du Bellay (1923-1975), mémoire de licence d’histoire, mention archives-documentation, Université d’Angers, 2001. Archives départementales de Maine-et-Loire, BIB 11476.
- NEVEU Micheline et TRIOLLET Marie-Louise, Des cours secondaires au lycée européen. Le lycée Joachim du Bellay d’Angers, Association des anciens élèves et professeurs du lycée Joachim du Bellay d’Angers, 1997. Archives départementales de Maine-et-Loire, BIB 10044.
Sources
- Archives départementales de Maine-et-Loire, 3 V 18 ; 8 V 7 ; 8 V 26 ; 8 V 44 à 46 ; 8 V 51 ; 2 O 7/33 ; 8 R 163 à 165
- Archives diocésaines d’Angers, 2 H 45
Paul-Henri Lécuyer, chef du service des publics aux Archives départementales de Maine-et-Loire, décembre 2025



