En cette fin d'année 1434, une conjonction d'événements va conduire René d'Anjou, deuxième fils de Louis II et de Yolande d'Aragon, à devenir un des féodaux les plus titrés d'Occident.
Voici d'abord que survient, en Italie, la mort sans postérité de son frère Louis III, transférant ainsi sur sa tête le titre ducal d'Anjou ; voici ensuite, deux mois plus tard, que Jeanne II de Naples, en disparaissant à son tour, déclare reporter sur son lointain parent toutes les prétentions de la maison royale de Naples et de Sicile. Or l'héritier se trouve en fâcheuse posture. Des imprudences et des batailles perdues l'ont livré, depuis le 30 juin 1431, aux mains du duc de Bourgogne, dont il est le prisonnier retenu à Dijon. Six ans seront nécessaires pour parvenir à une libération que René paie au prix fort : une rançon de 400 000 ducats, une promesse d'alliance matrimoniale et l'abandon de ses droits en Flandre. Mais peu importe pour René, qui trouve à peine le temps de parcourir l'Anjou et la Lorraine, ses états, et se précipite en Provence, pour s'embarquer le 12 avril 1438 à destination de l'Italie.
On sait l'échec piteux de l'entreprise. Chassé de Naples par les Aragonais, René retrouve, moins de quatre ans plus tard, le sol provençal, puis regagne l'Anjou au printemps 1444. La province est à peine remise des dernières offensives de la guerre de Cent ans. Les Anglais tiennent encore le Maine, et viennent seulement d'accepter de signer la trêve de Tours : Henri d'Angleterre épouse Marguerite d'Anjou, fille de René, et promet d'évacuer le Maine sous deux ans, ce qu'il ne fera en réalité que quatre ans plus tard, contraint par la chute du Mans (15 mars 1448). Mais chacun sent que la paix est proche. Las de combattre, Charles VII s’est retiré en Touraine. Comme lui, René veut oublier la guerre, et s'étourdir dans des festivités dans lesquelles les princes font assaut de magnificence.
Tel est le sens du tournoi que donne, en juin 1446, René d'Anjou à Saumur, et qui reste connu sous le nom de Pas du perron, ou de la joyeuse garde. René a l'habitude de ces fêtes brillantes, qu'il a déjà données en Lorraine ou à Naples, ou auxquelles il a été convié dans d'autres cours. Ici il s'agit de défendre un écu semé de fleurs de pensées, attaché à un perron de marbre gardé par un nain et deux lions. Tout chevalier venant toucher cet écu de sa lance devait combattre contre l'un des tenants du Pas. Les préparatifs sont particulièrement impressionnants : l'on construit même, pour cette fête, "un chastel fait par artifice" dans la plaine de Saumur pour y loger les défenseurs. Les prix aussi sont somptueux : diamants et rubis récompensent les plus valeureux, tandis que danses et festins ponctuent les joutes chevaleresques.
Sans doute René fut-il satisfait de ces fêtes. Dès les mois suivants, il en commandait la relation illustrée, et faisait faire de même, pour la grande salle du château de Saumur, des peintures dont on ne sait si elles virent effectivement le jour. Le manuscrit du Pas de Saumur, conservé aujourd'hui à la Bibliothèque de Saint-Pétersbourg, nous donne le récit imagé et vivant d'un événement certainement cher au coeur du duc d'Anjou. Le sujet devait d'ailleurs donner lieu à d'autres déclinaisons : qui ne connaît son fameux Traité de la forme et devis comme on fait les tournois, dans lequel il théorise les usages chevaleresques ? qui ne sait l'importance qu'il accorde à l'ordre du Croissant, créé en 1448 pour rassembler autour de lui les nobles de ses états ?
Mais les guerres s'achèvent et la préoccupation chevaleresque passe au second plan dans la fin du règne. L'Anjou retient de son dernier duc qu'il fut le prince d'un temps de paix, dont on lui attribue sans doute trop facilement les vertus.
Repères chronologiques
- 1400 : mariage de Louis II à Arles avec Yolande d’Aragon
- 1417 : mort de Louis II d’Anjou et avènement de Louis III
- 1421 : victoire du vieil Baugé contre les Anglais
- 1432 : établissement des facultés des lettres, de théologie et de médecine à l’Université d’Angers
- 1434 : René devient duc d’Anjou puis roi de Naples et de Sicile
- 1438-1442 : René d’Anjou en Italie
- 1445 : mariage d’Henri VI d’Angleterre et de Marguerite d’Anjou
- 1446 : tournoi du Pas du Perron donné à Saumur par René
- 1448 : fondation de l’Ordre du Croissant
- 1453 : fin de la guerre de Cent Ans
- 1462 : convocation des Grands Jours d’Anjou
- 1471 : départ définitif de René d’Anjou pour la Provence
- 1475 : confiscation de l’Anjou par Louix XI et octroi de la charte portant création de la mairie d’Angers
- 1480 : mort de René et réunion de l’Anjou au domaine royal