C'est ainsi qu'Angers apprend, dans les colonnes du Petit Courrier, le 22 juin 1896, qu'un événement se prépare : le cinéma est là ! Tous les soirs désormais, de huit heures et demie à minuit et, en matinée, les jeudis et dimanches, pour un franc d'entrée, les Angevins applaudissent les scènes devenues célèbres de l'arroseur, du concours hippique, des bains de mer ou des querelles de bébé.Ce premier succès fut tel que la projection se prolongea jusqu'au 6 août et ne quitta les lieux que pour mieux revenir, au gré des spectacles, des cirques et des foires.
Cafetiers et forains
Car le cinéma des premiers temps est d'abord un art populaire. Son premier répertoire est le documentaire – les opérateurs des frères Lumière viennent filmer, en 1898, le carrousel de Saumur. Mais, très vite, le public réclame des films de fiction, et des hommes de scène, comme Georges Méliès, en relèvent le défi. La création des premières sociétés de production, celles de Charles Pathé et Léon Gaumont, révolutionne à l'aube du siècle, la diffusion du film ; la pratique de la location, que Pathé instaure en 1907, achève d'en favoriser l'exploitation.
En province, les cafetiers et les forains sont les premiers relais : le café du Ralliement, le Grand Hôtel, le café du Boulevard, situé Boulevard de Saumur, installent leurs tréteaux en terrasse ou même sur la voie publique.
En 1907, la Compagnie des tramways électriques adresse au maire d'Angers une protestation véhémente : les spectateurs, venus assister aux séances projetées sur des toiles tendues place du Ralliement, risquent à tout moment de provoquer des accidents en installant leurs sièges sur les rails du tramway.
Le reste du département n'a pas tardé à connaître à son tour la joie des séances animées. À Cholet, à Saumur, les cafetiers ont ouverts leurs portes. Le cinéma s'installe jusque sur les places des villages. C'est en visitant l'exposition Universelle de 1900 qu'un habitant de Saint-Georges-sur-Loire, Joseph Pageot, a l'idée de fabriquer quatre roulottes sur roues ferrées, tirées par deux tracteurs. Ainsi de 1901 à 1933, le cinéma Pageot sillonne-t-il les routes du département, laissant dans la mémoire des Angevins un souvenir durable : pour six à quinze sous, l'on prend place sous une longue tente sur des gradins de bois. Un lot de films acheté une fois l'an à Paris permet de projeter un spectacle quotidien, renouvelé chaque jour durant une semaine : le temps de séjour moyen dans chaque pays traversé, après quoi la caravane s'ébranle vers un autre triomphal succès.
Le cinéma s’installe
Alors que s'ouvre la grande guerre, le cinéma quitte les tréteaux pour les salles obscures. D'attraction, il devient un art à part entière, lorsque le public découvre les productions de Paul Laffitte (« l'assassinat du duc de Guise ») ou d'Adolf Zukor (« la reine Élisabeth », avec Sarah Bernhardt). Les Angevins s'y pressent, dans la salle du Pathé, rue Saint-Denis, dont le directeur est monsieur Marcovici, également instigateur de célèbres tournées. Bientôt s'ouvrent les Variétés, boulevard de Saumur, à l'initiative de l'industriel Joubert, salle dont l'installation décidée dès 1913 est retardée de deux ans par l'entrée en guerre. À Saumur et Cholet, les salles de ciné-théâtre, qui s'aménagent dès 1915 préfigurent les réseaux de l'entre-deux guerres. Le cinéma occupe aussi le théâtre et même le cirque-théâtre, place Molière. Il est, pour ces établissements durement touchés par la guerre, une source de revenus providentielle. En 1916, alors que la France en bleu horizon pleure ses morts, le Grand Théâtre d'Angers encaisse 194 329,70 francs de recettes pour les seules séances de cinéma, alors que les représentations théâtrales en ont rapporté à peine la moitié. Il est vrai que madame Coste, épouse du directeur, ne ménage pas sa peine : en l'absence des artistes elle passe les films. Elle assure le bruitage, seule, et chante également. À l'entracte, l'orchestre du théâtre donne un intermède musical. À ces séances récréatives s'ajoutent des séances plus conformes à la dureté des temps : le cinéma Marcovici projette des films à l'hôpital pour distraire les soldats mutilés revenus du front, tandis que les familles découvrent sur l'écran, à travers les premiers reportages de guerre, l'horreur des tranchées.
140 salles en 1930
La guerre a porté un rude coup à l'industrie cinématographique française, la création s'essouffle, tandis que l'inspiration originale est surtout suédoise, allemande et même soviétique. Toutefois, solidement installé sur un répertoire classique en grande partie documentaire, le cinéma populaire continue son implantation méthodique. Les grandes villes ne sont plus les seules à posséder salles et matériel permanent. En 1931, 140 salles d'importance diverse sont recensées dans le département : deux à Angers, les « Variétés » (870 places) et le « Palace » (1200 places) : deux à Cholet, le « Palace » (800 places), et la salle Notre-Dame, exploitée par l'Association du patronage Notre-Dame-de-la-Garde ; deux à Saumur, l'« Artistic » (650 places), propriété de la ville, et l'incontournable « Palace », en cours d'installation. Une enfin à Segré, le Ciné-théâtre, salle communale de 400 places dont les représentations sont hebdomadaires. Hors des villes, seule Longué possède une salle d'importance : 600 places, dans une « maison du peuple » appartenant à m. Émile Métayer. Les autres lieux sont plus modestes, de 300 places à Seiches (patronage Jeanne d'Arc) à 250 à Saint-Florent-le-Vieil et Chemillé, puis 200 à Noyant et 90 seulement au Café Poirier de Beaufort. Outre ces salles permanentes, le département comptes huit salles communales, onze salles d'écoles publiques et cinq d'écoles privées, soixante-sept salles de patronages religieux et cinq laïcs, quatre salles d'associations sportives et encore, survivance symbolique, vingt-sept salles d'hôtels et de cafés déclarant moins de dix représentations annuelles. Ce réseau, dense, ne cessera, de 1920 à 1940, de se diversifier et de s'étoffer encore avec l'appui des pouvoirs publics et des autorités religieuses, qui voient dans ce divertissement de bon aloi – le choix des films projetés est sévèrement contrôlé – un efficace moyen d'éducation populaire.
Une activité étroitement réglementée
Car le moins que l'on puisse dire du cinéma des « années folles » est qu'il n'est guère libre. Peu libre de sa technique, d'abord : la grande affaire est alors celle de la sécurité. Plusieurs accidents, dont l'un grave, à Saumur que relate le «Petit Courrier», ont attiré l'attention des responsables et du public sur le danger que représente le film en celluloïd, facilement inflammable. Dès 1929, le préfet de Maine-et-Loire annonce l'interdiction de ces projections dans tous lieux « non équipés contre l'incendie », et fixe pour les autres le terme de 1932 qui doit leur permettre de s'équiper de neuf. L'arrivée du cinéma parlant, salué avec enthousiasme par les spectateurs dès 1929, contribue au renouvellement complet du répertoire, et sonne le glas des entreprises artisanales. Désormais, ouvrir et exploiter un cinéma est une affaire sérieuse : visa d'exploitation, visa de censure, visa de commission d'examen, autorisations diverses sont le lot d'une industrie sous surveillance. Les premières années du siècle se préoccupent surtout d'éviter de donner en spectacle la violence. La censure des années trente est multiforme, interdit aussi bien en 1936 le film de Victor Marguerite « La garçonne » pour d'évidentes raisons morales que la projection de « Bécassine ». Le maire d'Angers s'en explique en ces termes, « Peut-être » dit-il, « ce film pouvait-il être donné sans inconvénient dans des régions plus éloignées de la Bretagne pour l'Anjou, qui abrite beaucoup de Bretons qui s'estiment atteints dans les sentiments qu'ils conservent à l'égard de leur province d'origine par les scènes ici représentées ».
Ces accidents de parcours ne masquent pas l'extrême diversité des programmes offerts au publics angevin : les premiers pas du dessin animé (Mickey, 1928 ; Betty Boop, 1932 ; Popeye, 1933), le renouveau du cinéma américain, notamment autour des thèmes fantastiques (Frankenstein 1932) et policier (Scarface, 1932) et l'élan du réalisme poétique français (Quai des Brumes, 1938 ; Hôtel du Nord, 1939) font accourir le public à l'Impérator, au Vauban, aux Variétés, au palace. Deux projections par jour, en matinée (vers 3 heures) et en soirée (8 h 30), avec de 13 à 5 francs, loges, balcons, secondes et premières, en voici pour tous les goûts et tous les prix. Ainsi le Vauban présent-t-il, à grand renfort de publicité, pour le mardi gras de 1939 (21 février) «la plus grande réalisation cinématographique de tous les temps», les aventures de Robin des Bois, avec Errol Flynn et Olivia de Haviland. La location fut débordée, et l'on dut ajouter, à la plus grande joie du gérant, une matinée supplémentaire durant toute la semaine.
Le cinéma sous l’occupation
Voici, hélas ! revenu le temps des années sombres. Dans Angers occupé, le cinéma survit, malgré les contraintes et le couvre-feu. En 1940, le préfet rappelle aux maires et aux forces de police « qu'aucune manifestation, de quelque nature qu'elle soit (cris, coups de sifflets, applaudissements, réflexions à haute voix) ne doit être tolérée qui puisse être interprétée comme une provocation à l'égard des autorités militaires d'occupation ». Malgré cela, nombre d'incidents éclatent : à Angers, Cholet et Saumur, à Saint-Mathurin en 1943, des manifestations d'hostilité lors de la diffusion d'actualités ou de films pro-allemands entraînent des mesures de représailles : fermeture de salles, présence de policiers durant les spectacles, affiches et même, ordre donné aux responsables de laisser allumé l'éclairage de la salle pour y reconnaître les éventuels opposants.
Si les séances sont placées sous haute surveillance, le choix des films l'est également : désormais, un ministre chargé de l'Information possède la haute main sur les diffusions cinématographiques. Ainsi sont interdits en 1943 la diffusion entre autres, de « Entrée des artistes, L'étrange Suzy, Battement de cœur ». Les directeurs de salles expriment aussi leurs plaintes lors des séances, destinées aux troupes d'occupation, dont la fréquentation ne leur permet plus de couvrir leurs frais. Bien des salles ont fermé leurs portes, attendant des jours meilleurs.
Un nouvel âge d’or
Dès 1944, dans l'Anjou libéré, le cinéma retrouve sa place. D'Alger, le gouvernement provisoire avait ordonné dès juin le séquestre des biens et productions d'occupation. Les écrans s'ouvrent à nouveau au film américain, absent durant tant d'années : les salles se renouvellent, se multiplient en ville à l'aube des années cinquante. En 1955, le Régent, rue Lenepveu, dont le plan est déposé à Angers par les architectes Rolland et Bellanger, est un parfait exemple d'aménagement moderne, repris, sur un mode différent, par « l'Élysée », avenue Patton. Angers compte alors quinze salles permanentes, et voit même se créer, en 1954, le Cercle culturel cinématographique de l'Anjou, qui se veut une véritable école de cinéma. Car l'Anjou n'est pas insensible aux mutations profondes que connaît alors le 7ème art. La généralisation de la couleur, la recherche de perfection technique (écran large, vision en relief, cinémascope) les mouvements de rénovation issus de La Nouvelle Vague modifient considérablement le paysage cinématographique et les attentes de son public. Et un concurrent veille : en 1960, cent « amateurs » à peine reçoivent la télévision à Angers. Mais la presse annonce comme un événement l'ouverture de nouveaux relais, à Nantes et au Mans. Tandis que se ferment les petites salles et que disparaît pour toujours le cinéma de patronage, les complexes multisalles s'installent.
« Le cinématographe est une invention sans avenir ! » Aurait affirmé Antoine Lumière lors des premières projections au Grand Café – du moins si l'on croit Georges Méliès. Depuis, il ne s'est guère passé de décennie sans que l'on annonce la fin du spectacle. L'art du cinéma s'arrêtera-t-il avec son siècle ? Il est permis heureusement d'en douter. Toiles d'autrefois et écrans d'aujourd'hui, cinémas d'hier et images de demain, le plaisir du spectacle est là, miroir du temps que nous ne nous lassons de contempler.
Le cinéma d’amateur
Jusqu'aux années trente, la production et l'exploitation cinématographiques s'adressent aux seuls professionnels du spectacle, autant par le coût que par le volume et la complexité du matériel utilisé. Ensuite apparaissent les premiers appareils de prise de vue portables, dont se dotent quelques amateurs fortunés. Ainsi à Angers, le photographe Evers fut l'un des premiers à réaliser des films dont très peu hélas ! sont aujourd'hui conservés. Mais le véritable âge d'or de l'amateurisme s'ouvre aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Des appareils de modèle réduit (le « Pathé-Baby »), des progrès considérables dans le développement et le format des films (9,5 mm, puis 8 et super 8), et une baisse conjointe des coûts favorisent cet essor dès 1945. Il se traduit par la naissance de ciné-clubs (à Angers, le « Ciné-Club Angevin », mais aussi le Ciné-Club des Mauges, le Ciné-Club de la Vallée à Vernoil-le-Fourrier, etc…), qui se donnent pour mission de favoriser l'émulation entre leurs membres par l'organisation de prix et de concours, et de vulgariser les techniques cinématographiques. Très actifs de 1950 à 1970, ils pratiquent aussi bien le documentaire que la fiction, et les projections publiques qu'ils organisent sont relatées dans la presse avec enthousiasme.
La production des amateurs, qu'elle soit familiale ou documentaire, revêt aujourd'hui une importance historique, considérable, et leurs sauvegarde s'organise. Ces images maladroites sont en effet, souvent involontairement, des témoignages vivants des grands moments du siècle vécus par les Angevins : processions, carnavals, fêtes ; cérémonies publiques, voyages et visites officiels ; vues des villes et des campagnes, saisies au hasard des promenades ou de parties de pêche, vie des fermes, des mines et des carrières, des usines et des ateliers qui restituent, avec l'étonnante force de la vérité, un monde aujourd'hui disparu.
Le Palace
Le 6 avril 1924, la revue d'architecture publie les plans d'une nouvelle salle ouverte à Angers, le Palace. Forte de 1200 places, elle comprend un rez-de-chaussée et une tribune, et son architecture intérieure est due à R. Brot, qui a fait appel, pour l'orner de fresques peintes, à l'artiste angevin Charles Tranchant. Après plusieurs transformations, le Palace sera définitivement reconverti en galerie marchande en 1982.