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Les curés angevins face à la loi de Séparation : l’enquête épiscopale de l’été 1905

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Les circonstances

Les débats parlementaires tant de fois repoussés sur la loi de séparation des Églises et de l’État avaient commencé à la Chambre des Députés le 21 mars 1905, et le vote final de cette assemblée avait eu lieu le 3 juillet.

C’est donc en plein débat à la Chambre, mais aussi dans l’opinion, que Mgr Rumeau envoie à son clergé, le 21 juin 1905, une lettre pastorale qui commence ainsi :

Les évènements qui se déroulent, si graves, si menaçants pour l’avenir de l’Eglise en France, nécessitent de notre part des prévisions et des déterminations pour lesquelles votre concours nous est indispensable…

Cette lettre annonçait pour le 21 août une réunion de l’administration diocésaine, des chanoines, des archiprêtres, des curés-doyens, et d’un délégué élu par les curés de chaque canton. Pour préparer cette réunion, neuf questions étaient posées : les prêtres devaient se réunir pour y répondre en juillet, et un rapport devait être envoyé pour le 21 août.

Les acteurs

Mgr Rumeau, âgé de 56 ans, évêque concordataire type, proposé à l’épiscopat depuis 1881, a été nommé à Angers en juillet 1898, et a pris possession de son siège en 1899 . Il a été attaqué en 1902 par la presse d’extrême-droite, qui l’accusait d’avoir été promu grâce à un député radical. C’est politiquement un modéré, soucieux de se démarquer des extrémistes de son diocèse : on venait encore de le voir lors des incidents de 1903 à la suit de l’expulsion des congrégations. C’est aussi un évêque ouvert aux nouveautés pastorales : il est l’un des quatre évêques présents au Congrès sacerdotal de Bourges en 1900.

Les curés, curés en titre (archiprêtres et doyens) et desservants (« curés » de succursales, c’est à dire paroisses non-cantonales), sont des hommes ayant au moins 38 ans, 42 pour les doyens, donc nés avant 1870, ordonnés par Mgr Freppel. Ce clergé est très ultra-montain, mais les doyens ne sont pas forcément très combatifs (proposés par l’évêque, ils sont nommés par le gouvernement).

Le questionnaire, les réponses

La lettre de Mgr Rumeau, la méthode mise en place, étaient déjà originales : les réunions de l’ensemble du clergé n’existent pas. Ici, on convoque les archiprêtres et doyens, et fait nouveau, un délégué par canton élu par ses confrères. Nous n’avons pas d’informations sur le déroulement de la réunion du 21 août. Il y eut également une réunion le 18 décembre, présentée comme la suite de celle du mois d’août, où Mgr Rumeau se trouva en face de l’opposition des doyens.

Les neuf questions posées étaient significatives. Deux seulement étaient en rapport avec la loi en débat. La première, sur la propriété des églises et presbytères, et sur les ressources prévisibles pour le culte et les prêtres. La seconde, sur les associations, type 1901, à créer éventuellement pour assurer la stabilité des écoles, des patronages, des œuvres…

Implicitement – et la phrase introductive évoquant des « prévisions et déterminations » était claire – Mgr Rumeau, comme une partie de l’épiscopat, considère la question du Concordat comme dépassée : ce n’est pas en s’attachant à un texte que l’Église surmontera la crise, mais en cernant la situation (d’où les questions sur les écoles laïques, la mauvaise presse, les œuvres) et en trouvant en elle-même des solutions par l’innovation. Il y a donc différence de ton entre le texte épiscopal, et les violentes polémiques menées dans la presse catholique (y compris la Semaine religieuse), dans les affiches et les tracts distribués à la porte des églises.

On a 130 réponses paroissiales, plus ou moins longues, « brutes », mais très intéressantes, plus que les synthèses décanales, souvent plus conformistes.

Les Questions du jour

Les ressources

Quelles seront les ressources si la loi est votée ? La situation est variée :

Les moins inquiets sont les curés des villes. Angers, Saumur pensent pouvoir assurer les besoins, avec une péréquation entre paroisses (mais pas Cholet).

Ailleurs on prévoit les ressources des « chaises », les biens des fabriques (Montfaucon, Montrevault, Drain, Thouarcé, Candé, Segré, Saint-Florent). D’où l’importance de garder les églises…

Certains envisagent « les châteaux », « les familles riches », parfois comptées, désignées (Doué, Longué, doyenné de la Trinité). Mais cette perspective inquiète et cette inquiétude est plusieurs fois mentionnée. « Le clergé perdrait beaucoup en dignité et en indépendance s’il était directement soutenu par les châtelains » (Saint Martin du Bois) ; « Quel assujettissement ! »  (Longué, collective). « Quel malheur d’être dépendant de ses paroissiens » (Chemiré). D’autres ne voient rien : Baugé, Noyant, Gennes, Chalonnes, Briollay, Beaufort.

D’où quelques propositions : 

- Des économies : suppression de personnel (sacristain, chantres), de vicaire, ou même (un cas, Distré) le rattachement à une paroisse voisine.
- Une péréquation entre diocèses, comme prévu dans la loi : voir le curé de Fontevraud, ou celui de Lué, très original. « La France va peut-être devenir un pays de mission et l’organisation de la Propagation de la Foi avec une caisse centrale, placée peut-être à l’étranger, serait un type qui pourrait servir de modèle à une organisation future ».
- Une taxation. C’est le clergé de Durtal qui a le plus réfléchi et qui argumente :

L’heure est venue de s’adresser directement à chaque catholique, d’obtenir sa déclaration catholique et son engagement personnel, l’heure est venue d’intéresser chaque catholique à sa religion par un acte, un petit sacrifice. L’heure est venue de resserrer nos troupes, dussions-nous perdre les mauvais soldats ! Les catholiques même pauvres, qui refuseront de verser 0,60F pour leur foi sont-ils dignes d’être regardés comme catholique ? Il semble même très sage que les prêtres vivent en partie des cotisations populaires, pour empêcher les riches de se croire et de se dire les seuls soutiens du clergé.

- Il y a même quelques propositions « prophétiques » : Saudreau, curé de Fontaine-Milon

La vie simple et pauvre du missionnaire dans un petit local fourni volontiers par le château en dehors de son enceinte serait peut-être – mieux qu’un culte officiel péniblement maintenu et pratiqué pour la plupart presque sans foi – l’organisation la plus efficace pour le salut des âmes dans notre paroisse ». Ou Ballu, curé de Parnay, qui s’installera dans les dépendances du presbytère qui sont sa propriété pour « assurer le service paroissial du dimanche, sans appointements, résolu d’y suppléer par son travail de la semaine. 

Globalement, ce n’est pas une impression de panique. L’insistance sur la nécessité d’une caisse diocésaine, gage d’indépendance et d’égalité est assez partagée. Le clergé de Thouarcé insiste :

Il nous semble très désirable que ces ressources soient centralisées et réparties par l’Autorité diocésaine, pour assurer l’indépendance des prêtres, soit vis à vis de certains châtelains, soit vis-à-vis de fidèles intransigeants qui entendraient exclure des sollicitudes pastorales du curé les gens qui resteraient en dehors de l’association, comme on l’a déjà déclaré dans une paroisse du canton.

Même si le clergé de Montrevault y voit « une utopie comme on le verra vite ». Mais beaucoup restent persuadés qu’on ne pourra pas se passer des châteaux (non mentionnés dans les Mauges cependant).

Les Associations paroissiales

En suggérant d’évoquer les associations paroissiales, que voulait Mgr Rumeau ? Prouver par le fonctionnement correct de ces associations que les associations cultuelles de la loi de séparation  étaient possibles ?

Certains curés ont bien vu le problème : leurs remarques le prouvent. Chemillé : s’agit-il des cultuelles, ou du droit commun ? Il vaut bien mieux attendre. Gennes : elles ne pourront se confondre avec les cultuelles. Briollay : favorable, elles pourraient être le « cadre tout prêt » pour les cultuelles. Longué : on est prêt à les former avant la loi de séparation.

Bien plus nombreux sont ceux qui déclarent ne pas connaître la loi de 1901, qui attendent des directives. 

Parmi ceux qui ont un avis, deux groupes bien tranchés. 
Ceux qui sont favorables : Longué, Durtal, Doué, Beaufort (très argumenté, deux associations fonctionnent déjà dans le doyenné), Briollay, Thouarcé, Ponts-de-Cé, les doyennés autour d’Angers et Angers
Ceux qui sont hostiles : Montrevault, Saint Florent, Beaupréau, Le Lion… Pourquoi : une méfiance envers le « parlementarisme », une crainte que cela ne fâche les bienfaiteurs. Crainte surtout pour le pouvoir des curés. Montrevault :

A l’unanimité, on a rejeté les associations paroissiales : nos gens sont groupés autour de nous, nos écoles vivent des ressources que nous trouvons ; donc inutilité d’associations qui ne feraient que jeter la division parmi nos populations ». Les curés du doyenné de Beaupréau craignent pour le curé « un contrôle plus ou moins malveillant de son administration, une diminution de son influence.

Quant à la loi de séparation…

Elle n’était pas évoquée directement par le questionnaire, mais elle est dans les esprits. Des prêtres la connaissent, en évoque tel ou tel article. Bien documenté le curé de Querré. Deux curés ont bien vu le passage des fabriques aux cultuelles (Fontevraud, Chemellier : ce seront les mêmes ressources). A Gennes, le curé distingue bien les fonctions respectives des associations 1901 et des cultuelles.

Le curé de Bauné fait un tableau apocalyptique, des effets de la « loi persécutrice » : « Bientôt le vide se fera dans l’Eglise le Saint Jour du dimanche. Il n’y aura plus de pratiques religieuses et la population déjà indifférente deviendra hostile et finira par se passer du ministère du prêtre. L’impiété dominera de toute part et le prêtre ne manquera pas de devenir un objet de mépris ».

Mais les positions les plus fréquentes sont 
-    La demande d’une direction ferme : Longué, La Trinité, où l’on écrit : « Nous sommes tout disposés à marcher, mais que l’autorité ecclésiastique nous donne le mot d’ordre précis ». Même ton, plus ferme à Chemillé : « le clergé se tient dans l’expectative. Il est prêt à tous les sacrifices qui lui seront demandés. Il sollicite seulement une ligne de conduite qui soit nette et uniforme…Le mot d’ordre venant du pape et de l’Evêque sera reçu avec reconnaissance, avec respect, et avec une complète obéissance ».
-    Certains veulent plus nettement un affrontement, presque une politique du pire. Le curé du Tremblay : « Plus la crise deviendra critique, plus nos fidèles se rapprocheront de nous et deviendront dociles ». Position plus solennelle à Montrevault : les curés y
« sont à l’unanimité d’avis que la Loi de Séparation de l’Eglise et de l’Etat, telle qu’on nous la fait, est inacceptable, comme dépourvue de toute garantie sérieuse pour l’avenir, et ils sont prêts à faire dès le premier instant tous les sacrifices c’est à dire abandonner indemnité de traitement, églises, presbytères, pour faire sauvegarder la dignité du prêtre et de l’Eglise.
Si nous continuons à tout concéder à la Franc-Maçonnerie comme on l’a fait depuis vingt-cinq ans, c’en est fait de l’Eglise de France, on nous retirera peu à peu les concessions qu’on nous fait en apparence et tout culte cessera vite.
Si au contraire, il y a refus d’accepter la loi, les églises et presbytères nous étant enlevés, nos populations ouvriront peut-être les yeux, il y aura chance de réaction générale. Sans doute il faudra souffrir pendant quelques temps, sans doute il faudra cesser un temps plus ou moins long l’intérêt des dettes des fabriques, mais nous croyons que c’est le seul moyen de sauver en France la religion et les intérêts matériels qui en dépendent ».
Et un curé du doyenné suggère d’avoir au presbytère des fers à hostie « comme pendant la Révolution, puisque celle-ci menace de revenir ». 

A partir de ces témoignages, nous pouvons dégager deux séries de remarques.

Sur le court terme.
La majorité des curés se situe dans le cadre de la future loi. Ils sont certes inquiets, mais continuent à faire des projets (œuvres, écoles, catéchismes). Une minorité, sûre d’elle, est prête à résister pour susciter une réaction. Le libéralisme de Briand et l’habileté des divers gouvernements (qui permettront par tous les moyens la permanence du culte) feront long feu de cette stratégie.  Le refus des inventaires est partiellement cette réaction que souhaitait le clergé de Montrevault, mais son faible écho prouvera que ces réactions n’avaient aucune efficacité auprès de l’opinion. Sur le court terme, on attend plus de clarté de la part de l’évêque.

Sur le long terme. 
Remarquons que nous entendons des prêtres déjà relativement âgés, mais non les abbés des années 1890, qui veulent aller » vers le peuple » et qui remplissent les salles des congrès ecclésiastiques de Reims et de Bourges.

    Un clivage fort entre ceux qui sont prêts à s’appuyer sur les laïcs –les même en général qui pensent que les cercles, les œuvres de jeunes gens sont utiles- … et ceux qui refusent cet appel aux laïcs, soit par principe (attachement à leur autorité, au principe hiérarchique), soit par scepticisme sur leurs populations (cela ne pourra fonctionner ici).
    Un clergé, qui malgré ses réticences, ses états d’âme, est prêt, pour sauver ses œuvres, ses écoles, à se confier aux notables, aux châteaux, sans trop en discuter les orientations (voir la confusion constamment faite entre presse catholique et presse conservatrice). 

    Un clergé méconnaissant largement la capacité de ses fidèles à se mobiliser, à s’organiser. Pas seulement à court terme dans l’agitation contre les inventaires, mais à plus long terme, et bien plus profondément, dans les œuvres catholiques qui vont prendre leur essor dans le nouveau contexte.