C’était il y a 120 ans. Les Lois de séparation des Églises et de l’État allaient marquer un tournant dans les relations entre l’Église catholique et le pouvoir politique, avec des ondes de choc jusque dans les Mauges et à Beaupréau. En ce tout début du XXe siècle, la vie dans les campagnes des Mauges est encore marquée par le poids de la religion et des pratiques traditionnelles. L’Église et ses rites ancestraux, les messes dominicales, le calendrier des fêtes religieuses en l’honneur de la Vierge et des saints, les baptêmes, les mariages et les enterrements rythment le quotidien des habitants des villes et des villages que le clocher égrène, comme le chapelet du temps qui passe, entre les matines et les angélus. L’immuable campagne des tableaux de Millet demeure, vouée au catholicisme et aux travaux des champs, dans l’immensité de paysages crépusculaires.
Depuis l’Antiquité, la révolution agricole creuse son sillon, mais l’attelage de boeufs et de chevaux tire toujours la charrue, en attendant la mécanisation. Les premiers ateliers et les manufactures de chaussures commencent à faire entendre le bruit sourd des presses et le cliquetis des machines à coudre, tout en poussant les murs, dans chaque commune, à l’initiative d’entrepreneurs et de certains membres du clergé ouverts aux idées sociales. Le pays des Mauges s’ouvre peu à peu au souffle de la modernité et à un siècle qui s’annonce déjà riche de bouleversements, de progrès et de tragédies à venir.
Depuis 1901, les lois anticléricales se sont durcies laissant la place à la laïcisation, sous la plume des gouvernements successifs d’Emile Combes, de Paul Rouvier et d’Aristide Briand. La loi votée à la chambre des députés le 9 décembre 1905 ravive des souvenirs et des antagonismes douloureux, dans tout l’Ouest de la France et notamment au cœur de la Vendée angevine, dans les Mauges, lorsque les premières circulaires demandent aux fonctionnaires chargés d’effectuer les inventaires « l’ouverture des tabernacles ». Si la majorité des catholiques acceptent la loi de Séparation, ils refusent qu’on pille leurs églises et parlent de profanation et d’atteinte à la propriété privée.
Toute la région renoue avec son passé glorieux avec des mouvements spontanés, plus ou moins orchestrés par les élus municipaux, les notables et les membres du clergé. Les inventaires seront pour le moins animés, un doux euphémisme pour désigner les affrontements qu’ils suscitent. Le dernier épisode des guerres de Vendée est en train de s’écrire pour les historiens.
Des heurts violents en février et mars 1906
Dès le 11 février, le Conseil municipal de Beaupréau prend ses dispositions et adresse une protestation au préfet : « Le conseil municipal, considérant que c’est grâce à la générosité seule des habitants de la commune de Beaupréau et à leurs dons en nature et en argent que les églises de Notre-Dame et Saint-Martin ont pu être élevées, ornées et fournies de tout ce qu’elles possèdent, sans que jamais les différents gouvernements qui se sont succédés leur soient venus en aide, proteste à l’unanimité contre l’inventaire ordonné, le considérant comme un commencement de mainmise sur des biens auxquels l’État n’a aucun droit et ne peut prétendre en aucune façon. » (L’Intérêt Public, 25 février 1906). D’une commune à l’autre, d’un conseil municipal à l’autre, la protestation ou doléance est souvent la même. Un texte similaire est voté par le conseil municipal de Jallais, le 25 février 1906.
Le 20 février, les portes de l’église Notre-Dame Beaupréau sont barricadées de l’intérieur et un enterrement doit être célébré dans une chapelle du cimetière, faute de pouvoir ouvrir l’église, tant on craint les inventaires.
Les esprits commencent à s’échauffer. Le samedi 3 mars, un ouvrier forgeron de M.Chevalier, Pierre-Edouard Saint-Lézé, 48 ans, passe devant l’église Notre-Dame et entend chanter à l’intérieur. L’envie lui prend de chanter la Marseillaise, et il entonne aussitôt l’hymne national. Mal lui en a pris, car quatre ou cinq personnes, dont un prêtre, sortent de l’église et se ruent sur lui. Les coups de pieds et de poings pleuvent. Les gendarmes constatent « les coups et blessures à la tête, à la figure et à la gorge. La maréchaussée mène l’enquête » rapporte Le Patriote de l’Ouest, un journal républicain du Maine-et-Loire, en date du 7 mars 1906.
Le 6 mars 1906, les deux églises de Beaupréau vivent un véritable état de siège. Le recensement est « épique » avec des affrontements que la presse de l’époque ne manque pas de relater. Déterminés et galvanisés par les hommes politiques de l’arrondissement, notamment le duc de Blacas, maire, conseiller général et futur député de la circonscription, les paroissiens des deux églises de Beaupréau attendent de pied ferme et sous les huées les agents de l’État préposés à l’inventaire des ciboires, calices et autres objets du culte. Il faut préciser qu’une première tentative avait avortée, fin janvier, les receveurs de l’Enregistrement n’avaient pas trouvé de témoins pour les assister. Celui du percepteur s’était fait porter pâle et sa femme avait prévenu le maire et les curés de l’heure des inventaires. Ils sont, cette fois, accompagnés d’un bataillon du 77e d’infanterie de Cholet, arrivé dans la nuit du lundi au mardi 6 mars 1906 pour prendre position et les aider à exécuter leurs tâches. Mais le tocsin a alerté la population aux premiers mouvements de la troupe et des centaines de fidèles bloquent les accès tandis que d’autres s’enferment dans les deux églises. « À Notre-Dame, il a fallu plus d’une heure et demie aux sapeurs pour faire sauter la porte de la sacristie. À Saint-Martin, sept sapeurs du 77e ont également travaillé plus d’une heure pour enfoncer les portes car les haches s’émoussaient sur l’acier des barricades. Là, comme à Notre-Dame, après lecture des protestations de MM. les curés et de M. le duc de Blacas, un simulacre d’inventaire a pu avoir lieu au milieu des chants religieux. L’agent du fisc avait amené deux témoins de Cholet pour accomplir sa triste besogne » rapporte L’Intérêt Public du 11 mars 1906.
À Saint-Martin de Beaupréau, M. Billot, curé, tremblait de tous ses membres en lisant sa protestation, de froid peut-être ! Et bien qu’un gendarme compatissant lui dît : « Courage, M. le curé, et n’ayez pas peur », M. Priou, professeur de philo, lançait cette parole mémorable : « Saqué faignant ! » (il avait un défaut de prononciation et n’articulait pas les r…)
Des scènes similaires se déroulent dans toute la contrée, en mars et en avril 1906, avec des épisodes tragi-comiques à Montrevault, à la Chapelle-Aubry, à Chaudron, à La Chapelle-Saint-Florent, à Villedieu-la-Blouère…


À Montrevault
L’agent du fisc, chargé d’opérer se fait aussi escorter par un bataillon du 77e et le sous-préfet de Cholet. Il est accueilli par une escouade de femmes arborant à chaque poignet un large bracelet hérissé d’épingles. Les hommes se sont barricadés dans l’église Notre-Dame. Un déplacement de forces jugé bien inutile. Le sang ne coule pas, heureusement. « Le curé de cette localité a protesté en déclarant qu’il n’avait jamais eu l’intention d’opposer la force à la force, qu’il se contentait d’une résistance morale dont le but est de prouver qu’il y a encore des catholiques en France. Puis, après les trois sommations réglementaires, la porte de l’église dans laquelle s’étaient massés les fidèles s’ouvrit, et l’agent du fisc fit son entrée, accompagné du sous-préfet de Cholet aux cris de « À bas les voleurs ! À bas les francs-maçons ». Après un semblant d’inventaire, qui a consisté dans l’ouverture de deux ou trois placards, ils sont sortis accompagnés par les huées des fidèles (L’Intérêt public du 18 mars 1906, archives municipales de Cholet).
À La Chapelle-Aubry
La place devant l’église était tendue de ficelles auxquelles on avait suspendu quantité de vieilles casseroles (on donnait le nom de casseroles aux mouchards qui pullulaient dans le pays). Quand le liquidateur arriva, escorté de cinq ou six gendarmes, les hommes de La Chapelle qui se tenaient près des câbles, se mirent à frapper sur les casseroles. Ce fut un beau vacarme. Le liquidateur, pas fier du tout, s’avança devant l’église et le curé, M. Dollet, l’arrêta pour lui lire une protestation. « Surtout, dit le liquidateur, pas de paroles blessantes pour le gouvernement et ses représentants ». « Soyez tranquille » et il commença : « Si je laissais faire cet acte abominable, je serais un lâche… ». Le liquidateur ne voulut pas en entendre plus long. Il leva les bras au ciel et repartit sous les huées, sans avoir pénétré dans l’église, pendant que le tintement des casseroles le poursuivait. (Notes manuscrites de Auguste Cesbron, archives de l’association Dom Sortais, Beaupréau).
Un autre témoignage recueilli auprès de Marie-Marguerite Piou, née Poirier en 1898, évoque l’arrivée des gendarmes à cheval dans le petit bourg de La Chapelle-Aubry. « Une femme Vieau, surnommée « La grande Marie », célibataire originaire de la Roche-Vetalay, habitant avec son frère la maison située à l’emplacement de l’actuel cercle Saint-Paul, avait apostrophé les hommes de La Chapelle-Aubry de ces paroles : « mais qu’attendez-vous, les bonshommes, pour les foutre dans le Douet », le Douet désignait le lavoir du bourg situé à proximité du pont et du pavillon, le local du sabotier Stanislas Pineau. Une certitude : les portes de l’église étaient non seulement entravées mais aussi recouvertes sur leurs faces extérieures de pointes et de clous, visibles et destinés à empêcher et émousser les coups de hache éventuels.
Toujours dans la commune de La Salle-Aubry, le maire René Poissonneau fut suspendu de ses fonctions le 17 octobre 1906 par le préfet, puis révoqué le 15 janvier 1907 par le Ministre de l’intérieur, Georges Clémenceau. Le motif : il avait fait replacer et sceller les emblèmes religieux dans l’école primaire. Ces derniers avaient été enlevés par l’instituteur sur ordre de l’inspecteur. Le maire sera réélu sans coup férir l’année suivante, le 17 mai 1908 (François Legeay, Bulletin paroissial de Notre-Dame de Beaupréau, avril 1912).
À Chaudron, des inventaires manqués
M. de la Brunye, percepteur à Montrevault, est chargé de faire l’inventaire le vendredi 2 mars, en début d’après-midi. Mais comme ailleurs, le tocsin a sonné dès midi moins le quart pour prévenir les habitants et les portes de l’église sont fermées. Trois-cent-cinquante personnes, dont quatre-vingts hommes, attendent l’agent du fisc. Le marquis de Villoutreys, le maire, et son adjoint, René Bourdeil, sont là, avec le curé Sigogne, l’abbé Fonteneau, le docteur Guillet et Prosper Pineau, placés devant la porte de l’église. Une protestation est lue sous la pluie battante. On parlemente mais le refus d’ouvrir les portes est de nouveau catégorique. Après le départ du percepteur, la foule entre dans l’église au chant des cantiques et reçoit, avant de se séparer, la bénédiction du Saint-Sacrement.
Alfred Maugeais, auteur de l’ouvrage La paroisse de Chaudron-en-Mauges à travers les âges, raconte la suite des événements, d’après le journal d’Auguste Bernard : « Six jours après, le jeudi 8 mars, le marquis de Villoutreys et le curé Sigogne furent prévenus par des cyclistes choletais que l’inventaire se ferait le jour même : 200 hommes du 77e devaient partir de Cholet le matin. Le ministère Rouvier étant tombé dans la soirée du 7 mars, l’ordre donné fut révoqué. Le lendemain, le 9 mars, trois gendarmes en grande tenue, carabine en bandoulière et sabre au côté, traversèrent le bourg à 7heures du matin, se rendant au-devant de la brigade de Montrevault qu’ils rencontrèrent à Pinteau. Tous les sept arrivèrent dans le bourg quelques instants après et restèrent chez Georges Pineau, au café, toute la matinée. Les brigades de Montjean et de Saint-Florent-le-Vieil qui devaient les rejoindre ne vinrent pas. On supposa par la suite qu’il y avait eu contre-ordre. Les pauvres gendarmes, n’ayant rien vu venir, partirent à midi, fort mécontents. La veille, le jeudi 8, on s’était présenté à Botz pour faire l’inventaire qui n’eut pas lieu. Il en fut de même dans toute la contrée ; dans les deux cantons de Beaupréau et de Montrevault, il ne se fit que dans les chefs-lieux, avec le concours de la troupe ».
Le rendez-vous manqué a des conséquences pour le maire Ernest de Villoutreys. Le préfet Olivier Bascou prend, le 27 mars 1906, un arrêté de suspension des fonctions du premier magistrat de la commune, pour une durée d’un mois. Son adjoint René Bourdeil assure l’intérim jusqu’au 1er mai.
Un autre épisode caldéronnais concerne le crucifix de l’école communale, le 25 novembre 1906. Le maire, le comte Jean de Villoutreys, qui a succédé à son père, décédé entre temps (le 14 juin 1906), et son adjoint se présentent à la classe des garçons pour voir un plafond endommagé. Ils constatent surtout l’enlèvement du crucifix. M. Albert, l’instituteur a eu des ordres de l’inspecteur. Le maire passe outre l’avis du gouvernement et fait sceller le crucifix, quelques jours plus tard, le lundi 3 décembre, pendant que les enfants de la commune entonnent des chants religieux, un Pater, un Ave, et un cantique « Nous voulons Dieu ». La veille, le dimanche, la foule avait accroché le crucifix à la grille fermée de l’école. Le 10 janvier 1907, un commissaire de police et un serrurier viennent enlever la croix de dévotion, sans la briser, et huit jours plus tard, Jean de Villoutreys est révoqué à son tour de ses fonctions de maire, comme son collègue de La Salle-et-Chapelle-Aubry. Au Fuilet et à Saint-Philbert-en-Mauges, les maires seront aussi révoqués pour les mêmes décisions.
Des communes où les inventaires n'ont pas eu lieu
Dans les communes de Saint-Macaire-en-Mauges, Vezins, Saint-Crespin, Tillières, La Pommeraye, Sainte-Christine, Bouzillé, Botz, Neuvy, Saint-Quentin, Saint-Laurent-de-la-Plaine… les inventaires n’ont pu avoir lieu. Les populations sont venues en masse protester contre ces actes préliminaires de la confiscation et partout les percepteurs ont dû se retirer face à des foules hostiles (L’Intérêt public, du 18 mars 1906)). Tout le Choletais est alors en effervescence et dans un climat quasi insurrectionnel.
À La Chapelle-Saint-Florent
À La Chapelle-Saint-Florent, la tentative d’inventaire vire au tragi-comique pour le pauvre receveur de Saint-Florent-le-Veil, M. Guilbaud. Il est accueilli par une troupe de maîtresses femmes conduite par Louise-Juliette Panneton, la dynamique châtelaine du domaine de la Guérinière, plus prompte à l’action efficace qu’à la prière, face à des membres du clergé résignés et plutôt passifs devant l’événement (Bulletin municipal de La Chapelle-Saint-Florent, janvier 2007). Le curé Joseph Pineau et l’abbé Pierre Geley n’avaient pas jugé bon de protester contre l’intervention… Des fagots d’épines bloquent les entrées de l’église et le pauvre receveur, faute de témoin et dans l’impossibilité de pouvoir exécuter sa mission, repart à pied escorté jusqu’à bas du bourg par une population narquoise.
À Jallais, à Gesté, au Pin-en-Mauges, à Andrezé et à La Chaussaire aussi
Du côté de Gesté et de Jallais, les mêmes scènes se jouent sous les cris de : « À bas les voleurs ! A bas les francs-maçons ! Vive la liberté ! Vive Dieu ». À Jallais, le 6 mars, M. Normandin, délégué du préfet et conseiller municipal non signataire d’une délibération du conseil du 25 février contre les inventaires est conspué : « À bas les mouchards, à bas les casseroles ! ». L’agent du gouvernement subira le même sort en soirée à Notre-Dame-des-Mauges (L’Intérêt public du 11 mars 1906 ). Les Jallaisiens le surnommaient Normandine.
Au Pin-en-Mauges, les jeunes catholiques ont planté des piquets le long de la grille délimitant l’emplacement où doit s’élever la statue de Cathelineau. Des casseroles éculées et des vases de nuit y sont suspendus. Au milieu du piédestal, un triangle en bois porte l’inscription : « À bas les francs-maçons ! ». À la porte de l’église, une pancarte est clouée avec l’inscription : « Nous voulons Dieu ». Au-dessus de l’église flotte également le drapeau tricolore cravaté du crêpe noir.
Le vendredi 9 mars, le toscin sonne à 10 h et une foule se rassemble sur la place. À 13h30, M. Benardeau, le receveur de l’enregistrement de Beaupréau, arrive, escorté de quatre gendarmes. Devant l’hostilité de la foule, il rebrousse chemin, sous les huées, chassé de la commune à coups de casseroles et sous les jets de pierres, il reprend sa voiture, légèrement blessé à la tête… Depuis lors, l’église est barricadée, les portes sont blindées à l’intérieur de plaques de tôles et une porte latérale est défendue par des fagots d’épines (Le Patriote de l’Ouest du 21 mars 1906).
L’épisode aura des suites judiciaires au tribunal correctionnel de Cholet en juin 1906. Ernest Gallard, 23 ans, cordonnier ; Jean Dublet, 36 ans, fermier ; Jean Petiteau, 33ans, Pierre Cesbron, 48 ans, Pierre Angebault 31 ans, tous les trois domestiques, sont condamnés à une journée de prison, avec sursis, à 50 francs d’amende et à tous les frais et dépenses, au motif d’outrages, violences et jets de pierre envers le représentant de l’État, M. Bénardeau.
À Andrezé, l’accueil fait à M. Paris, percepteur à Beaupréau, n’aurait pas été plus glorieux. Alors que le samedi 10 mars, il se présente à la porte de l’église, il est, dit-on, entouré et saisi par un certain nombre de personnes, des femmes en majorité. On le coiffe d’une casserole, puis le malheureux percepteur, quelque peu houspillé doit finalement partir tête basse. On assure qu’à la suite de cette expédition, l’agent du gouvernement déjà souffrant aurait eu le cerveau fortement ébranlé… D’autres sources (Notes manuscrites d’Auguste Cesbron, association Dom Sortais, Beaupréau) précisent que les manifestants lui ont enlevé son chapeau et l’ont coiffé d’un seau hygiénique, « Il en mourut huit jours après ».
À Saint-Quentin-en-Mauges, « une foule non hostile » de plusieurs centaines de personnes (Le Patriote de l’Ouest du 21 mars 1906) assistent au travail du percepteur. Ce dernier arrive seul, se promène dans le bourg, invite l’instituteur à déjeuner, fait une visite au maire et accomplit sa mission dans « une commune civilisée ».
À Yzernay, le 13 mars, 500 fidèles massés devant l’église attendent en vain l’agent du fisc, le percepteur de Maulévrier. À 13 h 30, le vicomte de Chabot, président de la Fabrique fait atteler sa voiture et l’envoie chercher par deux domestiques. L’agent a disparu. Le percepteur était parti à la pêche et avait prévenu les curés de Mazières et d’Yzernay de sa venue. « Il faut dire que l’entrée de l’église était défendue par plus de 3000 fagots d’épines et les enlever seul avant d’accomplir sa mission était une besogne au-dessus de ses forces » raconte un habitant de la localité (Le Patriote de l’Ouest du 22 mars 1906).
Idem au Longeron, le curé de la paroisse, le maire Joseph Bonnet et le marquis de la Bretesche, conseiller général, entourés de 1 200 personnes, piaffent d’impatience sans rencontrer le préposé aux Inventaires.
Le 9 mars, à La Chaussaire, le tocsin sonne à midi et demi. Malgré des informations contradictoires, la nouvelle de la venue du receveur de Montrevault, est confirmée. Une centaine d’hommes entoure M. le Curé et fait front devant la porte de l’église. Trois cents femmes sont à l’intérieur et chantent des cantiques. La protestation est énergique et l’agent bat en retraite sous les acclamations : « Vive la liberté ! Vive la religion ! Jamais d’inventaires ! ».

À Villedieu-La-Blouère et à Saint-Philbert-en-Mauges
Le 29 mars, un jeudi, jour de marché à Villedieu, les inventaires de deux églises créent l’animation au cours d’une folle journée pour le percepteur de Chalonnes, M.Lemoine. Parti à une heure du matin des bords de Loire pour exécuter sa mission, 86 km aller et retour, avec sa berline, il fait étape au Pin-en-Mauges chez le débitant et aubergiste M. Pineau où il fait souffler ses 2 chevaux et manger l’avoine. On questionne bien sûr le cocher sur sa destination. « Ce doit être les inventaires ! ». À cinq heures et demie, c’est l’arrivée à Gesté. Où aller ? À la gendarmerie, en attendant le matin. Après une pause, le percepteur et une escorte de sept gendarmes prennent la direction de Villedieu.
À 8 h 45, les cloches de la cité des Chevaliers de Malte sonnent à toutes volées, les habitants ont l’air joyeux et rient au passage des représentants de l’État. À 9 heures, le curé Charrier est là devant la porte de l’église, entouré du Conseil de fabrique, de M. du Fou, conseiller d’arrondissement, de quelques prêtres des environs et d’environ cent cinquante personnes. Une protestation est lue et reçoit les applaudissements du seul vicaire. À 10 h, l’inventaire des revenus ecclésiastiques de la mense est également fait.
Nouvelle pause. « Gendarmes et agents du fisc se réunissent à l’hôtel tenu par M.Chupin, en face de l’église, où les attend un succulent déjeuner, il faut bien cela pour attaquer La Blouère » (Le Patriote de l’Ouest du lundi 2 avril 1906). Mais pendant ce temps-là, la résistance s’organise. À 14 h, les représentants de la loi se rendent à La Blouère où, sous les « hou ! hou ! », une foule hostile de quatre à cinq cents personnes s’est rassemblée. Le vieux curé de la paroisse lit sa protestation en vantant les vertus des châtelains des environs et refuse les inventaires. La tension est palpable et l’agent du fisc doit battre en retraite en partant vers un carrefour situé à 1 km de La Blouère, suivi par des manifestants menaçants. Les gendarmes ont de la peine à les contenir. Une diversion est tentée pour éviter l’affrontement. On fait croire que l’agent a repris le chemin menant au presbytère. La foule repart alors au pas de gymnastique vers La Blouère… mais le percepteur est déjà en route pour Gesté. « C’est le clergé qui a établi ce guet-apens. L’église de La Blouère est bien située pour cela, au milieu des prés, pas d’habitations sur un côté de la route. On pouvait donc lapider l’agent avec les sept gendarmes, sans endommager la propriété d’autrui » rapporte un témoin républicain dans Le Patriote de l’Ouest du 2 avril 1906.
Le lundi 2 avril, en début d’après-midi, à Saint-Philbert-en-Mauges, l’agent du fisc se présente avec neuf gendarmes. Cent-cinquante manifestants sont devant l’église. Le maire, le comte d’Anthenaise et son épouse sont à leur tête, avec un curé âgé, tremblant de tous ses membres. « Je proteste, nous protestons… Vive la liberté » peut-on entendre devant une foule particulièrement calme pendant qu’un prêtre photographie en amateur les groupes. « M. Le comte d’Anthenaise possède dans sa commune de braves paysans qui préfèrent le travail dans leurs champs que de s’opposer à une loi qui fera leur bonheur » ironise Le Patriote de l’Ouest du jeudi 5 avril.
Pour en savoir plus : Gilles Leroy, 1906-1907, les Inventaires dans les Mauges et le siège du collège de Beaupréau, Les éditions d’ICI, 2007. Archives départementales de Maine-et-Loire, BIB 12807.
Gilles Leroy, professeur de lettres retraité et élu départemental, décembre 2025
