Anjou - Département de Maine-et-Loire
Archives départementales Aux sources de l'histoire de l'Anjou

Quand la Hongrie était angevine

Voici qu'en ce début du XIIIème siècle s'éteignent en Anjou les derniers feux de la grande dynastie des Plantagenêts, désormais – pour un siècle – retranchée en Angleterre. Que va devenir la province ? Une simple partie du domaine royal, comme l'a voulu Philippe Auguste, vainqueur des fils d'Henri II ? Non, son destin sera tout autre, et par la grâce d'un autre prince, Charles d’Anjou le conduira jusqu'aux terres lointaines d'Europe orientale, ceindre pour plus d'un siècle la couronne de saint Étienne, le légendaire fondateur de la Hongrie.

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Charles 1er d’Anjou, une ambition européenne

Né en 1227, plusieurs mois après la mort de son père Louis VIII, Charles, possessionné dès sa naissance du Maine et de l'Anjou, devait se montrer l'une des plus grandes figures de ce XIIIème siècle qui n'en manqua pas. Voici le portrait qu'en donne le célèbre chroniqueur Florentin Giovanni Villani : « Ce Charles fut sage, de sain conseil, preux en fait d'armes, sévère, extrêmement craint et redouté de tous les rois du monde, magnanime et de vastes projets sûr dans l'exécution de toute grande entreprise, ferme dans les adversités, fidèle à ses promesses, parlant peu mais agissant beaucoup, riant à peine, honnête comme un moine, catholique, dur en justice. Il avait l'air d'un souverain plus que tout autre prince ».

Cette personnalité que tous reconnaissent comme hors du commun émerge alors que s'éteignent un par un les grands empires universels : les Comnène byzantins, les Hohenstaufen d'Allemagne, les Almohades arabes disparaissent. En Hollande, en Flandre, au Luxembourg, et en Autriche, en Hongrie et en Bohême, les dynasties se ferment les unes après les autres. Les prince-chevaliers français sont partout : à Jérusalem et en Angleterre, à Barcelone, et en Aragon, en Castille et Léon, en Navarre, en Hollande et en Flandre. L'Empire romain d'occident et l'Empire latin de Constantinople sont investis par les seigneurs français.

Charles d'Anjou en nourrissant pour sa dynastie les plus hautes ambitions, ne répondit donc pas seulement aux traditions de son pays, mais aussi à l'attente de l'Europe.

« Puisque telle est sa renommée, imaginez ce qu'on dirait s'il renonçait à l'entreprise. Puisqu'il porte le nom de Charles, qu'il en imite les exploits ».

L’épopée italienne et les mariages hongrois

Le mariage de Charles d'Anjou, en 1246, avec Béatrix héritière de Provence, est le premier acte de l'aventure. Ainsi, le prince prend pied dans le Midi, achevant d'y installer, après la victoire contre les Albigeois, la puissance capétienne. Appuyé sur la papauté, il conquiert Naples et la Sicile, dont il se fait couronner roi en 1268 après avoir défait Manfred et Conradin, prétendants issus de la dynastie germanique. Sa domination peu à peu étendue sur l'Italie, il rêve naturellement d'Orient. Mais qui veut tenir les Balkans doit en tenir le principal bastion occidental, la Hongrie. Royaume riche et puissant, il est sans héritier, le vieux prince Bela IV ne laissant que des filles. Si Charles échoue dans sa tentative d'épouser la plus jeune fille du souverain, Marguerite, il est plus heureux dans les unions de ses enfants, puisqu'il marie son fils Charles et sa fille Isabelle, respectivement à Marie et Ladislas, petits-enfants de Bela IV.

Les angevins sur le trône de Hongrie

Charles 1er s'est éteint en 1285, puis sa fille Isabelle, sans enfant du roi Ladislas IV. La couronne de Hongrie est aux mains d'André, dit le Vénitien, lointain descendant de la lignée des Arpad. Charles II d'Anjou qui succède à son père en Italie, la revendique alors pour le fils qu'il a de Marie de Hongrie, Charles Martel. Mais la mort de celui-ci en 1297 semble compromettre l'entreprise. C'est alors qu'avec l'aide du pape Boniface VIII, sont avancés les droits de Charles-Robert ou Carobert, fils de Charles Martel, alors enfant.

Au printemps 1300, il est conduit en Dalmatie où les partisans du parti angevin le proclament roi de Hongrie. Mais les formalités nécessaires n'ont pas été observées : en particulier, la couronne de Saint Etienne, restée aux mains de la faction rivale, n'a pu être utilisée. Les Hongrois dénoncent ce couronnement incomplet, et préfèrent favoriser la candidature du roi de Bohême Wenceslas.

C'était sans compter avec le pape Boniface VIII, fidèle partisan de l'Angevin : il cite les deux rivaux à comparaître, et arbitre en faveur du premier. Bientôt, tout le haut clergé lui est gagné, et les barons se rallient un à un. Sentant le sort contraire, Wenceslas se replie sur ses terres. Mais il a pris soin d'emporter avec lui la couronne légendaire, privant ainsi Carobert et ses partisans d'une légitimation ardemment souhaitée. En 1305, c'est Othon de Bavière qui, recevant à son tour le précieux objet, se proclame héritier des droits qu'il symbolise. Puis la légende s'en mêle : Othon défait, puis poursuivi, portait pendue à sa selle la couronne dissimulée dans une cruche de terre. Tombée à terre dans la précipitation de la fuite, elle fut portée à Ladislas Kan, voïrode de Transylvanie. Prince ombrageux, celui-ci refuse d'abord de s'en dessaisir, et c'est avec un diadème fabriqué pour la circonstance que Carobert est d'abord couronné (15 juin 1309). Mais moins d'un an après, les Hongrois se rendent à l'évidence : le prince angevin n'a plus de compétiteur, et peut être véritablement reconnu, le 27 août 1310, comme l'authentique successeur de Saint Etienne, alors que la couronne sacrée, enfin rendue, lui est solennellement imposée.

Le règne fondateur de Carobert (1310-1342)

Prince de grande valeur, Carobert sut développer une politique essentiellement magyare, qui portait cependant la double marque angevine et française. À une noblesse trop indépendante, il substitua la stricte observance de la sujétion féodale et les fastes de la confrérie des chevaliers de Saint-Georges. Contre le haut clergé, il introduisit les nouveaux ordres religieux dominicains et franciscains, soumis à la papauté son alliée. La réorganisation de l'État, la fixation de la monnaie (florin d'or), le développement des villes et des liaisons commerciales, sont à porter à son crédit ainsi qu'à celui de son excellent ministre, Demetrius Neckei, qui le seconda durant vingt cinq ans.

Le prestige de la Hongrie sous Louis Le Grand (1342-1382)

À la mort de Carobert, c'est Louis (qui sera dit « le grand ») qui établit une administration rigoureuse et puissante ; la Hongrie connaît sous son règne une prospérité sans égale. Lorsque meurt en Pologne, en 1370, le roi Casimir, sans héritier direct, il joint à sa couronne celle de Pologne. Mais sa cour est installée à Buda, dont il a fait le cœur de ses royaumes.

« Dieu met nécessairement au comble de la puissance les princes pacifiques dans leur gouvernement mais glorieusement vainqueurs ». Cette notation d'un contemporain décrit parfaitement l'atmosphère du règne de celui que la Hongrie tient encore comme le plus remarquable de ses rois. Roi-chevalier comme le furent, avant lui, Jean Le Bon ou Édouard III d'Angleterre, élevé religieusement au palais de Visegrad, roi lettré admirateur d'Alexandre le Grand et de son prédécesseur, Ladislas le Saint, dont il fit l'effigie de ses monnaies d'or, il conduisit la Hongrie à une puissance jamais atteinte : la société stabilisée s'organise autour d'une noblesse partagée entre les cent vingt familles fondatrices de la nation, et une petite noblesse, nombreuse et active. La création de la confrérie des Chevaliers de Saint Georges ancre le royaume dans la chevalerie européenne, aux symboles identiques. Les courants commerciaux qui traversent le pays (les routes de Buda à Venise et à Vienne, le Danube), la restauration du négoce des métaux précieux dont l'État s'est réservé le monopole, sont autant d'atouts étayés par une administration solide, et une réorganisation monétaire rapide et efficace. Le florin d'or est l'outil d'échange, d'un pays devenu en peu d'années urbain et prospère, plaque tournante d'une Europe désormais plus que jamais ouverte vers l'Orient.

L’extinction de la dynastie

Louis de Hongrie, qui s'éteint en 1382, laisse ses royaumes partagés : à sa fille aînée Marie, la Hongrie ; à sa seconde fille Edwidge, la Pologne. Désormais, chacun d'eux suivra une destinée parfois indépendante, parfois commune, sans que rien d'autre que le souvenir ne les rattache à leurs origines angevines : en Hongrie, Marie a épousé Sigismond de Luxembourg. Ayant peu de goût pour le pouvoir, elle abdique en sa faveur, dès 1385, et meurt douze années plus tard, alors qu'une ultime tentative de Charles III de Naples pour restaurer les droits des Angevins de la branche aînée s'est terminée tragiquement par la mort du roi. En Pologne, Edwige épouse Ladislas Jajellon, grand duc de Lithuanie, donnant naissance à une autre célèbre maison dont les heures de gloire se situeront au versant du Moyen Âge.

Jamais les Anjou de la branche aînée (les Duras en Italie) ni ceux qui revendiquent leurs droits (les Valois-Provence en France) n'atteindront les marches du trône hongrois, désormais entré dans la légende angevine.

Témoignages artistiques et monumentaux

Bien peu de témoignages subsistent de ce que fut l'art « angevin » en Hongrie : à l'art gothique occidental, dominant en Europe depuis le XIIIème siècle, se superposa une influence italienne qui, mêlée au caractère hongrois prépara la grande floraison artistique du XVème siècle. De la riche époque de Carobert et de Louis le Grand demeurent la fresque de Szepeshely, qui représente le couronnement de Carobert, et d'autres où l'influence italienne est clairement marquée. Des sculptures sur bois (madone de Slatvin et de Nagyeör, crucifix de Mateocz), des pièces d'orfèvrerie dont la plus célèbre est une statue équestre de Saint Georges, illustrent le règne de Louis le Grand. Deux codes richement ornés sont restés, de la bibliothèque de celui qui vivait dans l'admiration d'Alexandre le Grand : une « chronique » à figures, et le Secreta secretorum du pseudo Aristote. Il est permis de rêver en pensant au château de Buda, agrandi et reconstruit, aux nombreux édifices religieux (île Sainte Marguerite, cathédrale de Nayvarad), dont aucun vestige ne nous est parvenu. Les témoignages indiquent qu'ils mêlaient, comme dans la personnalité du prince, la raideur germanique aux influences italiennes et françaises dont la dynastie angevine avait réussi l'heureux mariage.

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