1940 - L’Anjou occupé
Trois jours ont suffi à l'armée allemande, du 19 au 21 juin 1940, pour se rendre maître du département, qui, à l'exception de l'héroïque combat de Saumur et de ses «cadets», n'oppose qu'une résistance sporadique. Dans Angers, déclarée « ville ouverte » le 19, dans Cholet le lendemain, l'armée allemande entre et prend ses quartiers, imposant par sa présence et ses impérieuses réquisitions la réalité de la défaite. L'armistice, signé le 24 juin, est accueilli dans un relatif soulagement : l'information est d'ailleurs dispensée avec parcimonie, par une presse déjà contrôlée qui ne rend pas publiques les clauses de l'accord. Conscients de l'intérêt stratégique du territoire angevin, l'armée et l'administration allemandes y pèsent dès lors de tout leur poids : siège de l'administration militaire de l'Ouest, ayant autorité sur 17 départements de la Normandie à l'Espagne, quartier général de la kriegsmarine pour l'Atlantique et la Manche, et de la Luftwaffe pour la zone atlantique, l'encadrement militaire est doublé peu à peu d'un encadrement policier (sûreté, police, propagande) et sanitaire (hôpitaux, cliniques, maisons de santé).
Les restrictions sont le corollaire de la désorganisation de l'activité économique : alors que les récoltes angevines prennent par trains entiers la direction de l'Allemagne, l'administration française, dans Angers, promue au rang de préfecture de région, organise la pénurie : taxation des prix, délivrance sur tickets des denrées rationnées, seront le lot quotidien des Angevins durant ces années sombres.
Après 1942, aux difficultés matérielles se joignent les répressions policières : déjà, arrestations et exécutions sommaires avaient répondu dans le sang aux premiers actes de résistance. Le durcissement de l'attitude de l'occupant à l'égard des Juifs se radicalise au printemps 1942 : les rafles ramèrent en camions bondés leur sinistre moisson rue Barra, dans les locaux du Grand Séminaire. Le 20 juillet, huit cents Juifs de l'Ouest montent ainsi dans un convoi formé à Angers et dirigé directement vers Auschwitz. Le préfet régional Jean Roussillon ne manque pas d'observer dans ses rapports la fracture qui sépare désormais le gouvernement de Vichy de la plupart des Français.
vidéo Youtube « EXPO | 1942 en Anjou »
1944 – De la résistance à la Libération
1944, un cinquième hiver de guerre, un quatrième hiver d'occupation. Depuis février 1943, l'obligation du Service du Travail Obligatoire pourchasse les jeunes gens de 21 à 30 ans.
Certains ont déjà fait le choix de l'action clandestine : d'abord spontanée, exprimée par des sabotages de câbles ou de voies ferrées, par le dépôt symbolique de gerbes au monument de la Victoire de 1918, elle ne tarde pas à s'organiser en réseaux, privilégiant le renseignement sur l'action militaire : Victor Chatenay, dès juillet 1940, fonde « Honneur et Patrie ». D'autres, à sa suite, se rassemblent, simples mouvements locaux ou émanation d'organisations régionales et nationales. Des personnalités, comme Dom Sortais, abbé de Bellefontaine, de nombreux anonymes abritent réfractaires et résistants. Des étudiants, comme les jeunes élèves de l'École Normale d'Angers, crient leur haine de l'occupant et souhaitent ouvertement la victoire alliée. Pour avoir ainsi défié, plusieurs centaines seront emprisonnées, déportés, dont bien peu reviendront. Plus de soixante sont exécutés au champ de tir de Belle-Beille à Angers.
Mais l'Allemagne est ébranlée : son recul sur le front russe, ses défaites en Afrique et en Italie ne sont pas ignorées d'une opinion pourtant plus sévèrement que jamais encadrée par la censure. Pressent-on en Anjou l'imminence de l'assaut lorsque le 9 mai 1944, devant la fréquence des missions de l'aviation alliée qui vient de bombarder sévèrement les nœuds ferroviaires de Tours, Nantes et Saint-Nazaire, à Angers, le préfet ordonne l'évacuation des abords de la gare ?
Non, sans doute, puisque l'ordre reste lettre morte : dans la nuit du 28 au 29 mai, un déluge de fer et de feu s'abat sur le quartier Saint-Laud. Pendant quarante minutes, plus de cent trente bombardiers emplissent le ciel, accomplissant leur cruelle mission. L'objectif est atteint. Mais autour de la gare et de ses matériels, totalement détruits, huit cents maisons le sont aussi, et près de sept mille partiellement. Dans les caves, dans les abris, dans les rues et les murs éventrés, l'on dénombre deux cent cinquante quatre victimes et l'on relève plus de deux cents blessés. Le même cauchemar attend Saumur, le 2 juin : même objectif, mêmes moyens. Là encore, le bilan est tragique : plus de cent morts, et autant de blessés. En ces derniers mois de guerre, sanglant est le prix de la liberté.
L'angoisse est trop présente pour que l'annonce du débarquement allié du 6 juin ne suscite en Anjou un élan significatif. Chacun pressent cependant que la lutte ultime est engagée : ceux qui le peuvent quittent les villes où le ravitaillement se fait chaque jour plus difficile ; à Angers deux bombardements, les 8 et 17 juin, ont livré à nouveau leur tribut de victimes : vingt-huit pour le premier, soixante-quatre pour le second, et près de cent cinquante blessés. Dès juillet, le nord du département accueille les réfugiés du front normand : ils sont cinq cents chaque jour à entrer à Segré, où l'on tente de leur procurer hébergement et nourriture ; en quinze jours, la population de Baugé a doublé.
Août 1944 - L’Anjou libéré
Après un mois d'incertitudes, enfin, le 31 juillet, les divisions de la 3ème armée américaine percent l'étau allemand à Avranches et foncent vers la Loire. Rennes le 4 août, puis Laval quelques heures plus tard, accueillent leurs libérateurs, tandis que les unités allemandes encore présentes dans les villes de l'Ouest se replient en hâte. Le général Patton veut pousser l'avantage : les blindés se lancent sur les routes, depuis Vitré par Pouancé, Segré, le Lion-d'Angers, mais aussi Chateaubriant par Candé, le Louroux-Béconnais et Bécon-les-Granits. Le 5 août est une journée difficile : alors que Pouancé est tombée après un bref combat, une unité allemande résiste à Segré, obligeant au repli les avant-gardes alliées. Dans la ville sans défense, les derniers occupants mitraillent, dévastent et incendient. Le courage du sous-préfet, P.-A. Fouet, qui, le 6 août se porte avec sang-froid auprès d'une soixantaine de ses administrés pris en otage, et qui leur sauve la vie, évite un bain de sang mais n'empêche pas la destruction partielle de la ville qui brûle jusqu'au 8. Enfin, les Segréens peuvent, vers 18 heures, manifester leur joie : les Américains sont bien là, en force, et la Marseillaise diffusée par haut-parleurs est bien celle de tous les espoirs.
Arrêtées à Segré par une résistance inattendue, les troupes alliées ont cependant poursuivi leur avance sur la route de Candé. Quelques engagements victorieux, et Châteauneuf-sur-Sarthe, après les villages alentours, est libre le 8 août. Sans attendre, dès le 7, une avant-garde campe à Saint-Jean-de-Linières. Angers sera-t-il attaqué de front, au prix de combats meurtriers, ou simplement investi ? Le commandement allié n'ignore pas que seuls quelques régiments allemands hâtivement repliés, adossés à un fossé creusé sur le flanc ouest, continuent d'occuper une position défensive, coupant l'accès à Loire. Mais des avancées sont possibles : dans la journée du 8, au prix d'un bref mais violent combat, le pont ferroviaire de Pruniers, signalé par des résistants angevins comme non miné, est franchi ; à Sainte-Gemmes, des fermes brûlent, les accrochages sont meurtriers ; d'autres unités s'avancent par la Meignanne et Avrillé, où de cruels engagements se déroulent au long des journées des 8 et 9 août. Enfin, l'accès à la ville se dégage : les combattants allemands, retranchés dans le château et ses abords ont fait sauter les trois ponts sur la Maine. Mais ils sont inégalement endommagés et la détermination des troupes américaines qui, le 10 août, traversent en force le faubourg Saint-Jacques et établissent, sous couverture aérienne, un franchissement provisoire du pont de la Basse-Chaîne, a raison des dernières résistances : à 17 heures, boulevard du château, les alliés sont maîtres d'une ville hébétée qui n'ose croire encore à sa liberté retrouvée.
Le Gouvernement provisoire de la République
Pourtant certains ont su devancer l'événement. Jusque dans ses moindres détails, l'organisation des nouveaux pouvoirs a été pensée à Londres et à Alger. Pas question, quel que soit l'apport allié à la libération du territoire, de laisser substituer une occupation à une autre. Par ordonnance des 10 janvier et 21 février, des commissariats régionaux de la République sont institués, des préfectures établies qui doivent, homme pour homme, terre pour terre, prendre immédiatement la place des institutions déchues.
Michel Debré, chargé dès 1943 d'opérer les désignations, se réserve la France de l'Ouest : par attachement familial, mais aussi parce qu'en stratège, il mesure l'importance militaire et symbolique de la Loire. Michel Fourré-Cormeray, Angevin et ami de longue date, est peu après choisi pour occuper la charge de préfet du département. Tous deux sont à Angers plusieurs jours avant sa libération. Au matin du 10 août, ils pressentent l'imminence de l'action. Le 8, ils ont tiré deux affiches : l'une, signée Jacquier – pseudonyme de Michel Debré dans la clandestinité –, proclame le rétablissement de la République et de ses lois et annonce la victoire ; l'autre, signée du Comité départemental de Libération, agissant désormais au grand jour, invite les Angevins à s'unir, aux côtés des artisans de cette victoire, pour forger le destin d'une France nouvelle. Tandis que quelques compagnons affichent ces proclamations, Michel Debré se présente seul à la préfecture. Charles Donati, préfet régional depuis le 1er août 1943, le reçoit sans étonnement. Mesurant la défaite, il a préparé son départ, qu'il rend effectif immédiatement. Une voiture parcourt alors les artères centrales, annonçant aux habitants, sortis des caves et des abris, la levée du drapeau tricolore à la préfecture et à la mairie. Quelques heures plus tard, du balcon de l'Hôtel de Ville, le nouveau commissaire de la République peut s'adresser aux Angevins, au nom de la République restaurée.
Derniers combats
Au lendemain du 10 août, la Loire reste cependant la frontière de la liberté. Les alliés n'ont pas souhaité la franchir, conservant leurs forces pour les combats à venir, et notamment l'approche de Paris, devant qui peu d'obstacles se dressent désormais. Pendant trois semaines encore, et malgré l'action des réseaux résistants et combattants qui œuvrent alors ouvertement, l'Anjou lutte pour secouer le joug allemand, dans d'ultimes affrontements : à Ingrandes, une prise d'otages répond à un violent mitraillage, tandis que brûle le 11 août le tablier du grand pont ; aux Ponts-de-Cé, passage obligé d'une laborieuse retraite, la ville est encore le 20 août sous le feu croisé des assaillants ; à Chalonnes, les premières tentatives d'occupation des îles s'achèvent dans le sang ; jusqu'aux derniers jours du mois, des actions isolées mais violentes, des fusillades, de tragiques prises d'otages, comme à Saint-Lambert-des-Levées, ne cessent d'endeuiller les bourgs et les campagnes.
Il faut attendre le 29 août et l'ordre général de repli donné à ses troupes par Hitler pour que soient réunies les conditions d'une complète libération de la rive sud. Avant son retrait, l'occupant détruit le peu qu'il reste des installations stratégiques : à Cholet, la gare et ses abords, et le puissant pont sur la Moine qui soutient la ligne ferroviaire Cholet-Nantes ; à Saumur où les ponts ont sauté dès le 11, les derniers ouvrages d'art sont sacrifiés, ainsi que le central téléphonique. Dans la ville qui échappe de justesse à une destruction programmée, les forces françaises sous la bannière du 135ème régiment d'infanterie récemment reconstitué, prennent position le 30 août et accueillent dès le lendemain Michel Debré, venu saluer la reprise de la ville et l'un de ses premiers résistants, Renaud de Razilly. Ce même jour enfin Cholet pavoise et le 1er septembre le Choletais, encore meurtri par les dramatiques combats des maquis du Bois d'Anjou et le martyre des jeunes Michel Creac'h et Etienne Ferrari, fête officiellement sa libération.
La réorganisation institutionnelle
À Paris, le général de Gaulle a confirmé le 28 août les mandats des représentants du gouvernement provisoire. La tâche est immense, telle que l'évoque Michel Debré dans ses « Mémoires » : « Il me faut d'abord exister. Après quoi, sans priorité car tout marche de pair, sanctionner, revenir à la légalité républicaine, mettre une administration en place, participer à l'effort de guerre, veiller à la bonne collecte et à la distribution du ravitaillement, commencer à reconstruire ponts, routes et câbles téléphoniques, aider à la réouverture des usines, rendre hommage aux résistants, prouver notre solidarité aux familles de déportés et prisonniers, informer et orienter l'avenir en préparant tout à la fois la vie normale du lendemain et celle d'une France renouvelée… Mue par la certitude, ma jeunesse ne doute pas du succès ».
La légalité d'abord : aux côtés de Michel Debré et de Michel Fourré-Cormeray, œuvrent désormais René Tomasini (chef de cabinet) et Philippe Rivain (secrétaire général). Dès le 19 août, pour suppléer à l'absence de presse (le Petit Courrier et l'Ouest ont cessé de paraître), un Bulletin officiel diffuse déclarations politiques et textes gouvernementaux de portée nationale ou locale. Les sous-préfets sont maintenus (Segré, Saumur), ou remplacés (Cholet) ; des commissions sont établies (agriculture, travail et industrie, vérification), l'armée est reconstituée. Ainsi sont fixées les bases de la reconstruction.
La justice, ensuite : le Comité départemental de Libération, qui s'est donné comme président le fonctionnaire socialiste Le Tétour, assume la tâche difficile du renouvellement des assemblées municipales. De six membres, il est porté au double, puis à dix sept à l'automne 1944. Sa compétence consultative s'étend à tous les domaines de l'action publique. Agissant en étroite relation avec les services préfectoraux, avec lesquels il entretient des rapports au plus haut niveau, il prépare et complète l'action des institutions judiciaires d'épuration. Le Tribunal militaire (le 5 septembre 1944), puis la Cour de Justice (le 15 novembre 1944) et la Chambre civique (le 30 janvier 1945) statueront, au total, sur 1183 dossiers, émettant 1157 sanctions, dont cinquante peines de mort. Malgré les drames qu'elle révèle, notamment au retour des prisonniers et déportés, la rapidité et l'efficacité de l'action judiciaire ont permis sans nul doute que prévale, selon le vœu de Michel Debré, l'union sur la division.
La renaissance de la presse
L'information enfin : une presse libre, dans une France libre. Or, les deux quotidiens d'occupation, le Petit Courrier et l'Ouest, n'ont pas été autorisés à reparaître, et leurs biens ont été placés sous séquestre. Dès le 10 août, Albert Blanchoin est nommé membre du Comité de Libération et chargé, avec Paul Fleury, d'animer le comité régional de Presse. Le 19 août, est créée la Société des éditions du Courrier de l'Ouest, que ses fondateurs inscrivent dans la mouvance du syndicalisme chrétien et qui bientôt se rapproche du groupe d'Émilien Amaury qui tient aussi le Maine Libre.
Lorsqu'en mars 1945, le ministre de l'information impose au nouveau quotidien ses statuts contre l'avis du Comité de Libération, dont il écarte les représentants, une page est tournée : Michel Debré, qui laisse sa place au printemps à Alain Savary, la mesure avec lucidité :
« Si le rêve d'une presse indépendante de l'argent est un puissant mobile, celui d'une presse détachée des partis politiques est plus illusoire ». Mais l'Anjou peut revivre et reprendre en mains son destin.
« Ce sont nos actes qui décident », rappelle le 15 mars 1945 le général de Gaulle au nom d'une France qui attend la victoire et la paix. Des actes, les Angevins en ont posés durant ces années tragiques : actes de courage ou de témérité, actes individuels ou collectifs, actes réfléchis ou spontanés. À leurs côtés, d'autres ont agi, venus d'outre-Altantique, étrangers combattant sur le sol français, ou Français retrouvant un sol qui leur était devenu étranger. Dans l'allégresse des fêtes de la Victoire, le 8 mai 1945, ces émotions se mêlent, infiniment présentes, et pourtant déjà lointaines. Tant est forte l'évidence de la Liberté.